Le Journal de Montreal - Weekend
LE NATATORIUM DE VERDUN un joyau Art déco ravagé par l’âge
Buster Crabbe, qui incarne Tarzan au cinéma, s’avance au sommet du tremplin de 3 m et s’élance dans la piscine du Natatorium de Verdun à la grande joie des 2000 spectateurs.
Nous sommes le 12 juillet 1940 et tout le gratin politique, incluant le maire de Montréal Edward Wilson, assiste à la première plongée de la vedette de Hollywood dans la plus grande piscine extérieure du Canada.
De nombreux admirateurs obtiennent un autographe de sa main. Il signe Tarzan « même si Cheetah n’est pas à ses côtés » note Bill Hillman, créateur d’un musée virtuel consacré à l’auteur de la série de l’homme singe, Edgar Rice Burroughs. Crabbe reviendra souvent à la piscine de Verdun durant les années suivantes, « non seulement pour s’entraîner, mais aussi pour vendre des obligations de la victoire en soutien à l’effort de guerre du Canada », poursuit le chroniqueur.
« Il ne faut pas oublier que cette piscine de style Art déco est inaugurée en pleine guerre. Sa construction s’inscrit dans le plan de relance de l’emploi qui fait suite à la grande crise économique », mentionne Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal.
ÉPREUVES INTERNATIONALES
L’âge a ravagé la structure de béton de l’édifice, au point où la Ville de Montréal songe aujourd’hui à démolir ce joyau de l’Art déco. Depuis que cette annonce a percolé dans les médias, une vague de protestation a déferlé sur les réseaux sociaux et une mobilisation citoyenne tente de renverser la décision des élus.
Situé au 6500 boulevard Lasalle, le Natatorium est constitué d’un pavillon des baigneurs qui s’ouvre sur les bassins de plongeon et de natation. Celui-ci est de dimension suffisante pour accueillir des compétitions internationales, ce qui ne tarde pas puisqu’on y tient dès 1940 le Dominion Swimming and Diving Championships, rassemblant des athlètes de tout le Commonwealth.
Les bâtiments sont classés par la Ville de Montréal en 2019 même si des failles dans la structure ont mené à la fermeture du site en 2017 en attendant un budget de restauration.
Dans son énoncé de l’intérêt patrimonial, la Ville mentionne que cette piscine a toujours eu beaucoup de succès auprès du public. « Le lieu est fortement fréquenté en période estivale par les résidents de Verdun et des arrondissements périphériques (il accueille en moyenne 65 000 baigneurs annuellement) », peut-on lire.
IMMEUBLE RARE
M. Bumbaru relate que les bâtiments de ce type sont plutôt rares sur l’île de Montréal. « Il s’inscrit dans la suite de piscines extérieures construites à New York en 1936 dans des quartiers ouvriers pour des raisons d’hygiène. On voulait offrir des bains publics aux citadins qui ne possédaient pas d’installations sanitaires dans leur logement », rappelle-t-il.
À Verdun, les gens avaient pris l’habitude de se rendre à la plage pendant les journées chaudes de l’été mais l’eau, à cette époque, était très polluée. Le Natatorium sera extrêmement populaire dès son ouverture.
Même si les dés ne sont pas jetés, Dinu Bumbaru craint que cet immeuble disparaisse sous le pic des démolisseurs et qu’on ne trouve plus qu’une plaque commémorative rappelant l’heure de gloire de la première grande piscine publique du Canada.
« Je crois qu’on peut trouver une solution comme on l’a fait pour l’Auditorium de Verdun, situé tout près et qui accueille encore aujourd’hui de grands événements après avoir frôlé la démolition », lance-t-il.