Le Journal de Montreal - Weekend

DÉNONCER LES PETITS AMÉNAGEMEN­TS AVEC LA MORT

- MARIE-FRANCE BORNAIS

Dans son nouveau roman féroce, terribleme­nt lucide, direct, la grande écrivaine Catherine Mavrikakis pose des questions sur la vanité de la création, l’orgueil démesuré des gens et les douloureus­es questions qui touchent la fin de vie. Sur les hauteurs du mont Thoreau raconte l’histoire de quatre soeurs qui accompagne­nt la plus jeune, atteinte de cancer, dans une clinique spécialeme­nt conçue pour adoucir les derniers jours des patients en faisant une immersion dans la création artistique. Mais tout n’est pas prévisible.

Dans le domaine paradisiaq­ue de la docteure Clarissa Gardner, qui offre une vue spectacula­ire sur l’océan Atlantique, toute une équipe attentionn­ée de soignants et d’artistes reconnus s’occupe d’aider les malades et leurs proches à créer une grande oeuvre collective avant de mourir. En chemin vers la clinique, les soeurs Leroy, Rose, Léonie, Alexandra et Merline, ne prennent pas le temps d’admirer le paysage qui mène à Thoreau Heights. Elles savent que les jours de Rose, atteinte de cancer, sont comptés. Toute leur énergie et toute leur attention sont centrées sur elle.

UNE « MONTAGNE MAGIQUE »…

Sur la « montagne magique » de la clinique Gardner, les dirigeants se vantent de pouvoir triompher du deuil et de la mort grâce à leurs travaux avant-gardistes. Mais les soeurs Leroy vont apprendre à leurs dépens que la fin de vie n’est pas si prévisible qu’on voulait bien leur faire croire. Et que ce lieu n’est pas si « fabuleux », en fait.

Catherine Mavrikakis est sans pitié dans ce roman qui soulève de nombreuses questions. « C’est l’histoire de quatre soeurs. Elles sont sur la route vers le Maine, mais c’est un Maine imaginaire », raconte-t-elle en entrevue.

« Elles s’en vont au mont Thoreau où il y a une clinique où une femme aide les gens en fin de vie. La plus jeune des quatre soeurs est en train de mourir d’un cancer, donc on va lui donner l’aide médicale à mourir, au bord de l’eau, dans un lieu extraordin­aire. »

UNE OEUVRE ARTISTIQUE…

« Avant de mourir, toute la famille fait une oeuvre de création, une oeuvre de création finale. C’est un roman sur la fin de vie, comment penser la fin de vie, qu’est-ce que c’est, les médecins qui administre­nt la mort. Mais c’est aussi un texte qui se moque un peu de tout. Et il va y avoir une surprise… »

Elle avait envie de mettre en doute des choses sur l’aide médicale à mourir. « Je n’ai pas besoin de prendre position parce que je suis une romancière. Je peux dire une chose et son contraire… Les personnage­s disent des choses différente­s. J’avais envie de réfléchir sur ce que c’était, la mort, dans ce contexte. »

Elle parle des dérapages possibles et de l’économie de la mort. « Je pense aussi, et je le crois vraiment, parce que je l’ai expériment­é avec mon père, que les hôpitaux raisonnent très souvent en termes d’argent. »

EXPLOITER LES GENS

Catherine Mavrikakis a trouvé lourd de parler de ce sujet difficile, mais ajoute qu’elle se moque beaucoup de la Dre Gardner, cette femme médecin qui exploite les gens et veut faire beaucoup d’argent sur le compte des gens en fin de vie.

« Elle est en train de profiter un peu des gens. Je me moque aussi des artistes qui croient que l’art peut sauver des gens, comment une oeuvre peut être plus grande que la vie ? Je me moque un peu de tout ça, quand même. Il y a quelque chose de très drôle dans mon roman, quand même. Ce n’est pas angoissant : il y a des passages très drôles. »

UN PAYSAGE IMAGINAIRE

L’écrivaine avait aussi envie de faire quelque chose de très champêtre, en même temps. « Comme si la nature pouvait nous réconcilie­r dans la mort, ce qui est peut-être aussi vrai, quand même. Il y a une beauté dans la nature qui nous console. »

Elle ne voulait pas qu’on puisse reconnaîtr­e des lieux. « Ce que j’aimais, c’était que c’était proche de l’eau. Je voulais parler de la beauté du paysage. Je ne voulais pas que ce soit trop réaliste. »

■ Catherine Mavrikakis est née d’une mère française et d’un père grec, à Chicago.

■ Elle vit à Montréal depuis toujours.

■ Elle est notamment l’autrice de L’absente de tous bouquets , de La ballade d’Ali Baba ,de Les derniers jours de Smokey Nelson et de Le ciel de Bay City.

■ Son oeuvre est traduite en plusieurs langues et a été maintes fois récompensé­e.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada