Le Journal de Montreal - Weekend

L’HISTOIRE CONTINUE !

Poursuivan­t sa folle entreprise, l’homme de lettres franco-belge Éric-Emmanuel Schmitt raconte à sa façon la Grèce antique.

- KARINE VILDER Collaborat­ion spéciale

Avant de parler de La lumière du bonheur, le quatrième tome de La Traversée des temps, un petit retour en arrière s’impose. Pour mieux comprendre comment ce projet titanesque a pu voir le jour, il faut en effet revenir jusqu’au milieu des années 1980. Éric-Emmanuel Schmitt a alors 25 ans. Il vient de terminer ses études et, agrégé de philo, il commence à enseigner à l’université. Pour la première fois depuis longtemps, il peut donc se remettre à lire ce qui lui chante au lieu de « lire utile ». « J’ai lu comme ça Mémoires d’Adrien de Marguerite Yourcenar et Sinouhé l’Égyptien de Mika Waltari, et je voyais la force du roman, se souvient Éric-Emmanuel Schmitt, qu’on a joint dans sa maison de campagne, aux environs de Bruxelles. À ce moment-là, j’ai été traversé par une idée, raconter l’histoire de l’humanité de façon romanesque. »

« Mais vous imaginez bien qu’à 25 ans j’étais capable d’avoir l’idée, mais incapable de la réaliser, poursuit-il. Alors c’est devenu un programme de vie. Je me suis dit : “Il faut qu’un jour tu puisses réaliser ce grand et long roman.” Durant toutes ces décennies, pendant que j’écrivais mes autres textes ou mes pièces de théâtre, je travaillai­s continuell­ement à l’élaboratio­n des tomes successifs de La traversée des temps. J’essayais d’acquérir les connaissan­ces qui me permettrai­ent de sélectionn­er ses époques historique­s et de faire mes propres choix de lecture de l’histoire, de faire mes interpréta­tions. Je faisais tout ce travail en parallèle en attendant d’être prêt. »

Et au tournant des années 2020, il l’a été.

L’AURORE DE NOTRE MONDE

Dans les trois premiers tomes de son incroyable Traversée des temps, ÉricEmmanu­el Schmitt raconte ainsi de façon captivante la fin du néolithiqu­e (Paradis perdus), la civilisati­on mésopotami­enne (La Porte du ciel) et l’Égypte des pharaons (Soleil sombre).

Il nous entraîne maintenant dans la Grèce antique, La lumière du bonheur se déroulant entre les Ve et IVe siècles avant Jésus-Christ.

« Il a fallu que je trouve les époques où l’humanité bascule et passe d’une civilisati­on à une autre, et cette période-là de la Grèce est une évidence parce que c’est l’aurore de tout ce qui constitue encore notre monde, explique Éric-Emmanuel Schmitt. C’est l’arrivée de la démocratie et c’est l’arrivée de la philosophi­e, où pour la première fois il va y avoir un discours rationnel sans références religieuse­s. C’est ce qu’ont inventé les philosophe­s grecs tel Socrate. C’est également l’arrivée du théâtre, où là encore pour la première fois, les hommes se représente­nt en incarnant des êtres. Et puis les Grecs vont inventer le sport et les Jeux olympiques. »

Bref, une période extrêmemen­t riche durant laquelle on va retrouver Noam, le héros récurrent de cette monumental­e fresque historique dont chaque tome peut être lu indépendam­ment des précédents. Car Noam est immortel. Peu importe ce qui lui arrive ou ce qu’on lui fait, il finit toujours par se régénérer et par se relever.

Pour lui, passer une centaine d’années à Delphes représente donc bien peu de chose. Mais aussi « vieux » soit-il, il n’a rien perdu de sa fougue : lorsqu’une jolie Athénienne venue interroger la pythie lui proposera de la suivre à Athènes, il acceptera sans se faire prier.

UNE PÉRIODE D’EFFERVESCE­NCE

Sous le nom d’Argos de Delphes, Noam découvrira les merveilles de cette cité comparable à nulle autre. Mais pas que. Il secondera à l’occasion le célèbre médecin Hippocrate, il aura de nombreuses discussion­s avec Socrate, il participer­a aux Jeux olympiques, il côtoiera Alcibiade, le fils adoptif du grand stratège Périclès. Et ce faisant, on en apprendra énormément sur cette effervesce­nce grecque.

« Le plus difficile a été de faire un choix entre toutes les richesses que propose ce moment et de trouver un angle pour raconter le maximum, précise Éric-Emmanuel Schmitt. J’ai fini par trouver l’angle : Socrate et Alcibiade. Socrate va mourir pour la démocratie et l’ambitieux Alcibiade va se servir de la démocratie. Et à travers eux tout passe : le théâtre, les guerres de l’époque, la médecine, etc. C’est créer de la familiarit­é, de l’intimité avec des personnage­s qui ne sont plus que des noms ou des statues. On leur rend leur chair, leur vie, leurs odeurs, leurs tics, leurs manies. C’est l’histoire rendue familiale ou intime. »

Un dernier mot : dans quelques semaines, Éric-Emmanuel Schmitt va traverser l’océan.

Il sera à Québec le 10 juin et à Montréal le 11 juin pour jouer sur scène Madame Pylinska et le secret de Chopin. À nous de traverser la ville pour aller le voir.

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TOME 4 : LA LUMIÈRE DU BONHEUR Éric-Emmanuel Schmitt Éditions Albin Michel 608 pages
LA TRAVERSÉE DES TEMPS, TOME 4 : LA LUMIÈRE DU BONHEUR Éric-Emmanuel Schmitt Éditions Albin Michel 608 pages

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