Le Journal de Montreal

Requiem pour une femme discrète

- lise ravary lise.ravary@quebecorme­dia.com

isabelle pOssédaiT une spiriTuali­Té apaisanTe eT une sagesse hOrs du cOmmun

On la connaissai­t surtout par son prénom, Isabelle. Bien plus que par son nom de famille, Péladeau, un patronyme puissant qui s’impose d’office. Discrète, elle n’avait même pas de page Wikipédia. Même si la liste de ses accompliss­ements aurait exigé beaucoup de « bits » .

Depuis plusieurs années, Isabelle, que j’appelais «ma belle Isabelle», préférait l’ombre. Elle avait à toutes fins utiles quitté l’univers des médias depuis sa «retraite», en 2000. Très peu pour elle, la vie flash des gens riches et célèbres, ce qu’elle était pourtant.

Elle préférait se consacrer à ses fils, Félix et Alexis, à son amoureux, Roger, dont personne ne pourra jamais imaginer le désarroi, à sa famille et à ses nombreux amis, et à son travail caritatif auprès des artistes, des exclus, des immigrants, des malades, par le biais de la Fondation Isabelle-Péladeau. Sans compter tous les gestes de bonté et de générosité anonymes qu’elle posait au quotidien.

RENCONTRE MARQUANTE

Je n’oublierai jamais notre première rencontre, il y a 20 ans, quand elle est devenue ma patronne. Convoquée pour la première fois à son bureau, j’ai été accueillie par un tonitruant «Ma famille, c’est Dallas!» Elle venait tout juste de raccrocher d’avec son père qui, manifestem­ent, l’avait contrariée. Elle a pouffé de rire, puis m’a tendu la main: «Je suis Isabelle; désolée pour cette explosion.»

La vie nous a liées. Je l’aimais et je crois qu’elle m’aimait. Nous avions toutes deux gagné nos batailles contre l’alcoolisme et la toxicomani­e. Et nous avions comme entreprise commune de veiller sur l’enfant de sa petite soeur dont le combat, lui, n’était pas terminé.

Elle m’impression­nait. Extra lucide, Isabelle possédait une spirituali­té apaisante et une sagesse hors du commun. Cet automne, je lui avais transmis une demande d’entrevue d’un collègue anglophone. «Je vais y penser trois jours.» Trois jours plus tard, elle me livrait sa réponse. C’était non. Qui réfléchit pendant trois jours à notre époque, à part les plus sages parmi nous? Et surtout qui dit non à des demandes d’entrevues de revues prestigieu­ses?

NE JAMAIS REMETTRE

Je ne la voyais pas souvent, mais notre lien interfamil­ial faisait en sorte que nous savions toujours ce qui se passait dans la vie l’une de l’autre.

Nous avions prévu un lunch, rencontre que j’ai reportée pour des raisons profession­nelles. Et qui n’aura jamais lieu. Je m’en veux: il ne faut pas annuler un rendez-vous avec quelqu’un qu’on aime si c’est pour le remplacer par un lunch d’affaires.

Je n’arrive toujours pas à croire qu’elle est partie. Je ne veux pas voir les images que mon imaginaire projette dans ma tête. Ses derniers instants, dans le noir, l’eau glacée, coincée entre la panique, le désespoir et, j’en suis certaine, un désir de vivre qui même fort, très fort, n’a pu terrasser la fatalité.

Adieu, belle Isabelle, dors en paix, car tu as fait le bien. Et la plupart du temps, sans que personne ne le sache. Tel un ange gardien.

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