« Je vis à 100 à l’heure »
Divorcé depuis sept ans, Mounir Saikali se sent libéré, euphorique même, de pouvoir enfin vivre son homosexualité. À 73 ans, rien ne pourra l’arrêter, insiste celui qui a connu la guerre civile au Liban.
«Enfin, je vis pour moi. Je ne vis plus pour ma famille, je ne vis plus pour mes enfants » , lance en souriant comme un enfant l’homme au regard pétillant, avant de prendre une gorgée de son café généreusement garni de crème fouettée.
RECOMMENCER À ZÉRO
La vie de Mounir Saikali n’a pas toujours été rose. En 1991, alors que son pays est déchiré par une guerre civile, il quitte un haut poste dans les affaires maritimes, au Liban, pour venir s’installer au Québec.
« Je pourrais vous parler de la mort et de l a destruction, commence- t - i l , pensif. Mais il y a quelque chose qui s’est passé, qui, d’après moi, est plus grave que tout ça. C’est la perte des valeurs humaines. Et je ne voulais pas que mes enfants vivent ça, donc je les ai amenés ici.»
Mais pas facile de recommencer sa vie à zéro dans un nouveau pays quand on a 50 ans, constate Mounir, à son arrivée ici. Il travaille pendant neuf ans dans un magasin à 1 $ et accumule les emplois mal rémunérés.
DÉSIR CLANDESTIN
Pendant tout ce temps, bien qu’il aime sa femme, Mounir a un désir pour les hommes qu’il n’arrive pas à réprimer. « J’ai toujours vécu mon homosexualité. Je trompais ma femme.»
Même au Liban, il a eu quelques amants, mais t oujours dans la clandestinité.
Puis les enfants ont grandi, se sont établis, ont même eu des enfants à leur tour. Pendant ce temps, le couple de Mounir s’effrite. Il s’éloigne de sa femme, tranquillement. « Je me suis dit: c’est inutile de continuer à faire semblant.»
Il demande le divorce à 66 ans. «Chaque jour de ma vie, je remercie le Bon Dieu de m’avoir donné cette bénédiction. Et de vivre avec un V majuscule.»
Il remercie aussi ses quatre enfants d’avoir bien accueilli sa sortie.
Mounir n’a plus de contacts avec son ancienne femme. Il a décidé de rattraper le temps perdu. Il fait partie de l’Association des retraités de la communauté (ARC) et participe à une foule d’activités avec ce cercle social. «J’ai énormément d’amis. Je vis à 100 à l’heure!»
« JE NE ME CACHERAI PAS »
Le septuagénaire vit seul, à Saint-Léonard, mais vient se promener dans le village gai quatre ou cinq fois par semaine. Dans cette opt i que, vieillir ne l ’ effraie pas. Lorsqu’on lui demande où il se voit dans 10 ans, il répond, en riant: «Ah! J’espère avoir crevé avant! Mais si j’ai à emménager dans un foyer… je ne me cacherai pas. Après avoir vécu la vie que j’ai menée, ce n’est pas parce que je vais dans un lieu où je risque d’être brimé que je vais me cacher. J’ai vécu 15 ans de guerre, ça ne m’effraie pas.»