Des résidences pour les aînés gais
Un moyen de contrer l’isolement ou un abandon de la lutte contre la discrimination ?
Pour plusieurs, créer des résidences pour personnes âgées gaies est la solution à court terme pour empêcher que ces personnes vivent dans la crainte et l’isolement. Pour d’autres, cela ne ferait que repousser le problème.
Gilbert Ouellet salue le travail fait par la Fondation Émergence dans les résidences pour personnes âgées, dans le cadre du programme Pour que vieillir soit gai, comme le mentionnait Le Journal, hier. Mais il constate malheureusement que la sensibilisation avance à pas de tortue. C’est pourquoi le président de l’Association des retraités de la communauté (ARC) travaille à un projet de maison de retraite pour des homosexuels dans un ancien couvent de la rue Fullum, à Montréal. Le projet, développé par les organismes La Traversée et Bâtir son quartier, comprendra une soixantaine de logements pour retraités, dont environ la moitié sera réservée à des personnes homosexuelles. Une autre soixantaine de logements sera disponible pour des personnes en perte d’autonomie, quelle que soit leur orientation sexuelle. La résidence devrait être prête à la fin de l’été.
« Pour l’instant, la situation n’est pas propice à l’i ntégration dans l es résidences, croit M. Ouellet. Et les gens qui sont en fin de vie n’ont plus nécessairement l’énergie pour se battre. Ils ont besoin de faire partie d’un groupe, de se sentir ensemble.»
Une centaine de membres de l’ARC ont déjà donné leur nom pour aller vivre dans cette résidence, ajoute M. Ouellet.
BAISSER LES BRAS ?
Pour Jacques Beausoleil, toutefois, ce n’est pas une solution. M. Beausoleil a commencé sa carrière de militant pour les droits des homosexuels à 50 ans, tout de suite après être sorti du placard. Aujourd’hui âgé de 80 ans, il ne compte pas baisser les bras.
«On devrait se battre pour que les institutions nous respectent, plutôt que de construire nos propres institutions», considère celui qui a déjà été président de l’Association des pères gais de Montréal, notamment.
Pour M. Beausoleil, maintenant que les droits fondamentaux des homosexuels sont acquis et que la question est réglée sur le plan juridique, ceux-ci doivent s’intégrer à la société. «J’ai compris une loi sociologique: jamais une majorité ne donne à la minorité les moyens de son développement, précise- t- il. Celle- ci doit aller les chercher à bras raccourcis.»
Mais évidemment, il concède que ce n’est pas tous les gais de sa génération qui ont cette graine de militant en eux.
MULTITUDE DE PARCOURS
« Il y a des gens qui ne sont pas des porte- drapeau de l eur communauté, souligne Marie- Noëlle Goulet- Beaudry, coordonnatrice du Réseau des lesbiennes du Québec. À chacun son histoire. Donc l’idéal, c’est que les gens puissent avoir le choix, en fonction de leurs besoins.»
Line Chamberland, titulaire de la chaire de recherche sur l’homophobie à l’UQAM, croit également qu’il n’y a pas une solution parfaite.
«Je pense que ça prend les deux, dit-elle. Je ne crois pas qu’on doive opposer les deux actions. Et habiter dans une résidence pour aînés gais, ce n’est pas abandonner la lutte. Il y a plusieurs façons de vieillir. Mais une chose est sûre, tu veux te sentir en sécurité en vieillissant, c’est un besoin fondamental.»
La chercheuse ne considère pas que ces résidences forment un «ghetto», mais un moyen de rester plus actif et d’entretenir une sociabilité. D’autant plus qu’il n’y a pas seulement des homosexuels dans le projet développé par l’ARC, rappelle-t-elle.