Mister Big perd du poids
la Cour suprême a restreint l’admissibilité de ces opérations d’infiltration
Les opérations policières de type mr Big, où des policiers se font passer pour des criminels pour obtenir des aveux d’un suspect de meurtre, doivent être réglementées, vient de trancher la Cour suprême du Canada.
Dans ces opérations d’infiltration digne de scénarios à la Hollywood, des policiers qui se font passer pour des criminels tentent de gagner la confiance d’un individu afin qu’il confesse le crime qu’on le soupçonne d’avoir commis. Cette technique onéreuse et controversée est souvent utilisée pour élucider des meurtres non résolus.
Dans un jugement de 65 pages rendu public hier, le plus haut tribunal du pays maintient la validité de cette technique, mais restreint par contre l’admissibilité des aveux en preuve.
La cause sur laquelle se penchait la Cour suprême est celle de Nelson Lloyd Hart, soupçonné d’avoir noyé ses jumelles de trois ans à Terre-Neuve, en 2002. Sans emploi et isolé socialement, il quittait rarement la maison, sauf en compagnie de sa conjointe. Or, lorsqu’il a été recruté par l’organisation criminelle fictive menée par des policiers banalisés, sa vie a changé du tout au tout.
Non seulement il était grassement rému- néré – il a gagné plus de 15 000 $ en quatre mois –, mais Hart s’est lié d’amitié avec ses patrons, qu’il considérait comme des frères.
«La perspective de nouer des liens d’amitié en travaillant pour l’organisation criminelle était au moins aussi attrayante pour l’intimé que les gratifications financières » , peut- on lire dans le jugement.
FIABILITÉ DEs AVEUX
C’est la façon dont ses aveux ont été obtenus qui était au coeur du débat, à savoir si l’accusé s’était confessé par la contrainte ou même s’il le faisait afin de continuer à jouir de tout ce que la fausse organisation criminelle lui apportait depuis quatre mois.
En plus de la fiabilité des aveux, leur effet préjudiciable est aussi au coeur du litige: le jury a entendu de nombreux témoignages à l’effet que Hart tentait à tout prix de joindre une organisation criminelle. «On conçoit aisément que le jury puisse arriver à considérer [Hart] avec mépris. Voilà un homme qui se vante d’avoir tué ses fillettes de trois ans afin d’impressionner des criminels», indique le document de cour.
La Cour suprême a donc choisi de ne pas admettre les aveux recueillis dans le cadre de cette opération. En l’absence de preuves supplémentaires, la Couronne devra décider à la suite de ce jugement si elle réclame un nouveau procès 12 ans après les faits.
«On est très satisfait du jugement. À l’avenir, si l’aveu est la seule preuve que la Couronne a contre les individus, elle va sûrement devoir re- tirer les accusations», a dit Me Richard F. Prihoda, de l’Association des avocats de la défense de Montréal.
«C’est un contexte où le suspect doit faire valoir ses activités criminelles pour être accepté dans un clan très restreint, où il va avoir accès à de l’argent très rapidement. L’indice de fiabilité de l’aveu n’y est pas», a ajouté Me Joëlle Roy, présidente de l’Association des avocats de la défense du Québec.
À la GRC, on croit que cette décision confirme malgré tout que les enquêtes d’infiltration demeurent «parmi les nombreux outils efficaces à la disposition de la police pour protéger le public, faire échec aux crimes graves et élucider des infractions non résolues».