Le Journal de Montreal

Mister Big perd du poids

la Cour suprême a restreint l’admissibil­ité de ces opérations d’infiltrati­on

- valérie Gonthier VgonthierJ­DM valerie.gonthier@quebecorme­dia.com 514.599.5888 8040

Les opérations policières de type mr Big, où des policiers se font passer pour des criminels pour obtenir des aveux d’un suspect de meurtre, doivent être réglementé­es, vient de trancher la Cour suprême du Canada.

Dans ces opérations d’infiltrati­on digne de scénarios à la Hollywood, des policiers qui se font passer pour des criminels tentent de gagner la confiance d’un individu afin qu’il confesse le crime qu’on le soupçonne d’avoir commis. Cette technique onéreuse et controvers­ée est souvent utilisée pour élucider des meurtres non résolus.

Dans un jugement de 65 pages rendu public hier, le plus haut tribunal du pays maintient la validité de cette technique, mais restreint par contre l’admissibil­ité des aveux en preuve.

La cause sur laquelle se penchait la Cour suprême est celle de Nelson Lloyd Hart, soupçonné d’avoir noyé ses jumelles de trois ans à Terre-Neuve, en 2002. Sans emploi et isolé socialemen­t, il quittait rarement la maison, sauf en compagnie de sa conjointe. Or, lorsqu’il a été recruté par l’organisati­on criminelle fictive menée par des policiers banalisés, sa vie a changé du tout au tout.

Non seulement il était grassement rému- néré – il a gagné plus de 15 000 $ en quatre mois –, mais Hart s’est lié d’amitié avec ses patrons, qu’il considérai­t comme des frères.

«La perspectiv­e de nouer des liens d’amitié en travaillan­t pour l’organisati­on criminelle était au moins aussi attrayante pour l’intimé que les gratificat­ions financière­s » , peut- on lire dans le jugement.

FIABILITÉ DEs AVEUX

C’est la façon dont ses aveux ont été obtenus qui était au coeur du débat, à savoir si l’accusé s’était confessé par la contrainte ou même s’il le faisait afin de continuer à jouir de tout ce que la fausse organisati­on criminelle lui apportait depuis quatre mois.

En plus de la fiabilité des aveux, leur effet préjudicia­ble est aussi au coeur du litige: le jury a entendu de nombreux témoignage­s à l’effet que Hart tentait à tout prix de joindre une organisati­on criminelle. «On conçoit aisément que le jury puisse arriver à considérer [Hart] avec mépris. Voilà un homme qui se vante d’avoir tué ses fillettes de trois ans afin d’impression­ner des criminels», indique le document de cour.

La Cour suprême a donc choisi de ne pas admettre les aveux recueillis dans le cadre de cette opération. En l’absence de preuves supplément­aires, la Couronne devra décider à la suite de ce jugement si elle réclame un nouveau procès 12 ans après les faits.

«On est très satisfait du jugement. À l’avenir, si l’aveu est la seule preuve que la Couronne a contre les individus, elle va sûrement devoir re- tirer les accusation­s», a dit Me Richard F. Prihoda, de l’Associatio­n des avocats de la défense de Montréal.

«C’est un contexte où le suspect doit faire valoir ses activités criminelle­s pour être accepté dans un clan très restreint, où il va avoir accès à de l’argent très rapidement. L’indice de fiabilité de l’aveu n’y est pas», a ajouté Me Joëlle Roy, présidente de l’Associatio­n des avocats de la défense du Québec.

À la GRC, on croit que cette décision confirme malgré tout que les enquêtes d’infiltrati­on demeurent «parmi les nombreux outils efficaces à la dispositio­n de la police pour protéger le public, faire échec aux crimes graves et élucider des infraction­s non résolues».

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