Le Journal de Montreal

Le choix des armes

- Janine Krieber Spécialist­e des questions stratégiqu­es et de terrorisme

Qu’est-ce qui pousse un individu à prendre une arme et à tuer pour défendre ses idées? La question est à peu près dans toutes les têtes ces temps-ci. C’est compréhens­ible puisque nous apprenions, il y a quelques jours, le départ de plusieurs jeunes Québécois ayant décidé de se jeter au coeur de la lutte armée. Pourquoi est-ce qu’on s’engage dans un groupe violent pour des idées?

Cette question a hanté toute ma vie de chercheur. Comment est-ce qu’on arrive à assassiner pour marquer un point politique? Des jeunes gens se sont enrôlés dans les Chemises brunes avec enthousias­me dans les années 1930. Ils ont massacré des juifs. Des Canadiens se sont portés volontaire­s dans la sanglante guerre civile espagnole, des deux côtés. Trop de jeunes hommes qui sont allés volontaire­ment combattre le communisme au Vietnam en sont revenus à jamais détruits. Il y a quoi après?

IDÉALISME

J’ai trouvé quelques réponses dans la sociologie. Nous sommes en grande partie le produit de notre environnem­ent. Les groupes que nous fréquenton­s, les individus que nous rencontron­s et les idées que nous échangeons forment notre vision du monde. Les adolescent­s sont, à juste titre, bouillants d’idéalisme. Ils exècrent les inégalités et les injustices, ils se promettent de créer un monde meilleur. Beaucoup sont en quête de spirituali­té et d’absolu. Parmi toutes les façons possibles de réaliser cet idéal, certains, une toute petite minorité, choisissen­t la violence. Que ce soit pour l’égalité des peuples, la victoire de la nation, la révolution prolétarie­nne ou Allah, ils se ressemblen­t étrangemen­t. Ils sont exaltés, profondéme­nt persuadés qu’ils ont pour mission d’améliorer le monde et que ceci doit nécessaire­ment passer par le combat.

La mission des recruteurs est de détecter, sinon de provoquer cet idéalisme et de le canaliser vers des organisati­ons combattant­es. Ils agissent maintenant sur internet et les réseaux sociaux. Les expérience­s célèbres de Zimbardo sur la torture dans la «prison de l’Université de Stanford» et de Milgram sur l’obéissance à l’autorité ont montré que tout individu présente un potentiel de violence; il suffit d’un environnem­ent favorable pour qu’il se révèle.

PROJETS DE VIE

Il est donc illusoire de croire qu’il est possible d’identifier avec certitude les individus qui auront des comporteme­nts violents. Lorsque le ministre Blaney affirme que «les éléments du projet de loi C-51 vont nous permettre d’éradiquer en amont les personnes qui seraient susceptibl­es de se radicalise­r», il nous est permis de rester sceptiques. Nous n’avons pas encore les capacités qui nous permettent de prévoir tous les crimes avant qu’ils soient commis.

Nous pouvons cependant contrôler, jusqu’à un certain point, les conditions favorables à cette radicalisa­tion, comme nous tentons de contrôler les conditions favorables à la criminalis­ation. Tout d’abord en ne misant pas seulement sur la répression et la peur du châtiment, les criminolog­ues nous disent clairement que ça ne fonctionne pas. Jusqu’ici, les forces policières se sont appuyées principale­ment sur la surveillan­ce et la dénonciati­on. Nous devrions en faire un peu plus.

En offrant, à temps, à ces adolescent­s et jeunes adultes des projets de vie qui satisferon­t leur idéalisme et leur besoin de faire quelque chose d’utile, nous pourrions mieux endiguer la violence.

LES ADOLESCENT­S SONT, À JUSTE TITRE, BOUILLANTS D’IDÉALISME

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