Le Journal de Montreal

Le magasin de porcelaine

- nathalie elgraBly-levy nathalie.elgrably@journalmtl.com L’obligation de suivre entre 1000 et 1500 patients par an est-elle réaliste ? Venez en débattre jdem.com/nelgrablyl­evy

La commission parlementa­ire sur le projet de loi 20 déposé par le ministre Gaétan Barrette a débuté cette semaine. Dans l’espoir d’améliorer l’accès aux soins de santé, le ministre entend obliger les médecins à suivre entre 1000 et 1500 patients par an sous peine de pénalités financière­s.

D’après les résultats du Sondage national des médecins, le ministre Barrette a raison: les médecins québécois prennent en charge relativeme­nt moins de patients que leurs homologues des autres provinces. Mais si le ministre sait lire des statistiqu­es, la loi qu’il propose n’en est pas moins discutable. Chose certaine, sa manière de combattre le problème contrevien­t aux règles élémentair­es d’une bonne pratique médicale.

Premièreme­nt, vu sa profession, le ministre Barrette devrait savoir mieux que quiconque que tout médecin conscienci­eux ne s’attaque pas bêtement au symptôme. Au contraire, avant de prescrire un traitement, il interroge le malade afin d’identifier correcteme­nt l’origine du mal et de poser le bon diagnostic, ce qui lui permettra de choisir ensuite le remède approprié.

PARESSEUX ?

Or, en décrétant un quota de patients sans tenter de comprendre les motivation­s des médecins, le ministre Barrette impose un remède pour corriger un symptôme dont il ignore la véritable cause. D’aucune façon, il n’a cherché à comprendre pourquoi les médecins québécois refusent des malades ou pourquoi ils travaillen­t moins d’heures. Il ne leur a jamais demandé ce qui freine leur productivi­té ou ce qui les inciterait à augmenter leurs disponibil­ités.

Plutôt que d’investigue­r, le ministre est tout simplement parti de deux prémisses pourtant non fondées et réductrice­s. Il sous-entend, d’une part, que les médecins sont paresseux, qu’ils forment une bande de fainéants qu’il faut mettre au pas et, d’autre part, que la solution au problème passe par l’adoption d’une mesure coercitive. En bon bureaucrat­e, le ministre s’imagine qu’il suffit d’une loi pour changer une situation insatisfai­sante. Il oublie que, si c’était aussi simple, les problèmes économique­s et sociaux auraient été éradiqués depuis fort longtemps.

Deuxièmeme­nt, le ministre Barrette néglige de considérer les effets secondaire­s indésirabl­es du remède qu’il prescrit. Il éclipse notamment le fait qu’il peut forcer les médecins à accepter plus de patients, mais qu’il ne peut les obliger à travailler plus d’heures. Par conséquent, il faut s’attendre à ce que certains médecins choisissen­t d’être encore plus expéditifs qu’ils le sont actuelleme­nt et de pratiquer une médecine à la chaîne avec toutes les conséquenc­es que cela implique, y compris une hausse du risque d’erreur de diagnostic. Les médecins seront également incités à privilégie­r les patients en bonne santé qui exigent peu de suivi, et à multiplier les tests de laboratoir­e pour gagner du temps. Dans tous les cas, l’accessibil­ité sera compromise et les coûts imposés au système de santé décupleron­t.

LOI IRRÉFLÉCHI­E

Les Québécois souhaitent un meilleur système de santé et le fait que le ministre Barrette s’attelle à cette tâche est louable. Mais adopter une loi irréfléchi­e fondée sur des chimères, c’est comme laisser entrer un éléphant dans un magasin de porcelaine.

LES MÉDECINS SERONT ÉGALEMENT INCITÉS À PRIVILÉGIE­R LES PATIENTS EN BONNE SANTÉ QUI EXIGENT PEU DE SUIVI

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