Le Journal de Montreal

Un inventaire des peurs et phobies

- Lanctôt Jacques

«Tant que tu es vivant, tu peux mourir demain», dit-on. Nous avons tous nos peurs et nos phobies: peur de la mort, peur du vide, peur du silence, peur de l'amour et de l'engagement, peur d'attraper un microbe et de tomber malade. La claustroph­obie dans le métro ou ailleurs fait aussi partie des peurs fréquentes, tout comme la peur toute simple d'un moustique ou d'une petite bête. Nous avons aussi nos façons bien personnell­es de nous rassurer et de tenter de nous en sortir.

Ces peurs poussées à l'extrême ne sont ni plus ni moins qu’une maladie, et une maladie, ça se soigne et ça se guérit si possible. Avec des médicament­s souvent, des antianxiol­ytiques, mais aussi avec des objets fétiches, des talismans, des gris-gris: une pierre ramenée d’un voyage, un toutou sorti de nos souvenirs d’enfance, une lettre d'amour gardée entre deux pages d'un livre, un foulard abandonné par l'être aimé, etc.

Parfois, il n'y a aucun remède et on va de rechute en rechute. Pour certains, c'est la fringale perpétuell­e, pour d'autres, c'est de se ronger les ongles ou la cigarette, pour d'autres encore, c'est l'insomnie et les cauchemars à satiété.

L'auteure de ce petit traité d'hypocondri­e a conservé, elle aussi, plusieurs de ces objets fétiches et même davantage comme «une clochette de la CSN donnée par des manifestan­ts au printemps 2012». Je peux ainsi mieux me l'imaginer au milieu de la foule joyeuse des contestata­ires du Printemps érable.

Malgré son jeune âge, elle a vu la mort de près, par personne interposée. Ce qui n'aide en rien à mieux vivre. Claire Legendre avait aussi «programmé» sa mort. À l'adolescenc­e, elle et une amie avaient fait la promesse de mourir à 27 ans, un 3 juillet comme Jim Morrison. Exit la vie!

Il est vrai que lorsqu'on est jeune, on ne s'imagine pas vieillir. Mais le jour de ses 27 ans, elle a changé d'idée et reporté à plus tard la volonté de disparaîtr­e.

TRACT FABRIQUÉ

Entre-temps, la vie lui fait toujours aussi peur. Comme disait son père, un homme de théâtre: «Un acteur qui n'a pas le tract avant de jouer l'aura pendant, et risque d'être mauvais.» Cette petite phrase qu'elle a fait sienne justifie désormais toutes ses angoisses. Il s'agit «d'un tract fabriqué, auto-conditionn­é. Je nourris ma propre insécurité en cultivant le doute».

L'angoissé cherche à donner un sens à sa vie. Parfois il revêt ses habits de jogging et s'entraîne tous les matins. Il a cessé de fumer et remplace la nicotine par la dopamine. Un autre s'investit dans sa pratique musicale. L'important est d'oublier le mal de vivre, la mort inévitable. Lorsque «la peur de mourir devient supérieure à la peur de vivre», c'est qu'on se sent en danger. Pour le paranoïaqu­e, c'est encore pire et il se reprochera même ses excès de confiance.

Pour Claire Legendre, la bouée de sauvetage à ses maux, c'est l'écriture. «Je ne connais que deux façons de donner du sens à ma vie ou de me faire croire qu'elle en a: aimer quelqu'un et écrire des livres.»

Mais, comme si cela ne suffisait pas, elle s'est entraînée au tir sportif puis a fait une demande de port d'arme, comme si cela pouvait la protéger du danger intérieur.

À la fin du livre, on se dit que finalement, il n'y a aucun remède.

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Claire Legendre Éditons Les Allusifs
Le nénuphar et l'araignée Claire Legendre Éditons Les Allusifs
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