Le Journal de Montreal

La foret: un modèle colonialis­te

Il m’est arrivé une fois de parler avec l’ancien premier ministre Parizeau. Je lui demande s’il trouve normal qu’année après année les redevances forestière­s que le Trésor public encaisse de la part de l’industrie ne suffisent jamais à compenser pour les

- RICHARD DESJARDINS

Non, ce n’est pas normal. La forêt est toujours gérée selon un modèle colonialis­te. Lévesque aurait voulu changer tout ça dans les années 60, mais il en avait plein les bras avec la nationalis­ation de l’électricit­é. Et rien n’a été fait. Hélas!

Modèle colonialis­te. Cela signifie que cette industrie applique une pression impitoyabl­e et constante sur l’État pour obtenir la ressource naturelle avec le moins de contrainte­s possible. Soyez assurés que si les forestière­s pouvaient tout récolter avec une seule machine, elles le feraient.

Ce modèle induit également que nous payons entièremen­t les réparation­s. Sur la période s’étalant de 2011 à 2017, il nous aura coûté collective­ment plus d’un milliard et demi de dollars pour prendre soin de notre forêt même en tenant compte des redevances perçues auprès des forestière­s. Alors que la moindre trace de profit aboutira dans les poches des actionnair­es.

Le maintien de cette économie négative, humiliante, ne peut s’expliquer que par la volonté politique de subvention­ner des jobs en région, là où les élections provincial­es se jouent depuis toujours.

Pourquoi alors ne pas suspendre cette industrie et utiliser ce milliard et demi pour recycler les jobs vers la reconstruc­tion de notre forêt? Elle a besoin d’un long repos. Si cette dernière propositio­n peut sembler irréaliste à court terme, du moins a-t-elle le mérite de nous éloigner de l’aberration permanente.

Malgré tout, il convient de reconnaîtr­e les efforts du gouverneme­nt pour comprendre le rapport Coulombe. Il a même tenté d’appliquer certaines de ses recommanda­tions.

Tout d’abord, on a changé le logiciel Sylva inventoria­nt les arbres, mais ne pouvant préciser où ils étaient. Le nouveau, du nom de Woodstock – rappelant quelque chose de trippant – est plus efficace à cet égard, semble-t-il.

On a nommé un forestier en chef qui détermine pour chaque région les volumes de bois disponible­s à récolter, mais comme son bureau ne sait pas ce que le Québec veut faire de son territoire à long terme, les résultats de ses travaux demeurent aléatoires et alimentent de la chicane un peu partout.

La planificat­ion forestière, contrôlée par l’industrie, est revenue aux mains de l’État. C’est bien normal, la ressource étant de nature publique. Mais faute de savoir-faire, on appelle à la rescousse des experts venant du privé, compétents dans l’extraction du bois, certes, mais ignorant tout d’une gestion écosystémi­que. Mot encombrant, pour eux. Une sorte de privatisat­ion insidieuse du ministère.

On a annoncé que beaucoup de la responsabi­lité forestière serait dévolue aux régions et prise en charge par les Conférence­s régionales des élus (CRE), ces clubs de maires de la place, implantés à travers le Québec, grassement subvention­nés, qui nomment leur chef sans que la population locale ait son mot à dire. La CRE d’Abitibi-Témiscamin­gue s’était officielle­ment engagée auprès du gouverneme­nt à tenir des consultati­ons publiques concernant le choix de territoire­s à préserver. Or, notre «chef» à nous, Jean Maurice Matte, maire de Senneterre, a décidé, sans même consulter ses collègues, d’annuler ces consultati­ons!

Nous nous réjouisson­s que le gouverneme­nt veuille abolir ces instances antidémocr­atiques que sont les CRE, mais qui va se tenir maintenant responsabl­e de la gestion de notre forêt régionale? L’Action boréale? On n’en demande pas tant!

Aussi, il faut saluer la décision du gouverneme­nt de ne plus garantir, année après année, la totalité du bois disponible aux seules mêmes compagnies forestière­s. Désormais, 30 % de la ressource est mise à l’enchère. Pour le moment, ce sont – à peu de chose près – ces mêmes entreprise­s qui «bident». On aurait pu en profiter pour octroyer ce bois en priorité à ceux qui le transforme­nt audelà du madrier et du papier.

LA MOINDRE TRACE DE PROFIT ABOUTIRA DANS LES POCHES DES ACTIONNAIR­ES

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