Le Journal de Montreal

Le maire Tremblay, un mal nécessaire ?

Avant, on traitait les intellectu­els de «feluettes» ou de communiste­s. Aujourd’hui, on traite les conservate­urs catholique­s comme le maire de Saguenay de mononcles ou de bouffons.

- BenOît AuBin benoit.aubin@quebecorme­dia.com

Même affaire, même conformism­e. On pense volontiers que le Québec a beaucoup évolué depuis la Grande Noirceur. Mais en fait, il n’a pas beaucoup changé. Il est toujours aussi intolérant et mal à l’aise envers ceux qui s’éloignent du discours convenu, à la mode.

La seule chose qui a changé au Québec ces 30 ou 40 dernières années, c’est le discours à la mode.

Jean-Paul Sartre disait des intellectu­els qu’ils sont des gens dont le métier est de se mêler de ce qui ne les regarde pas.

POPULAIRE OU POPULISTE ?

Le maire de Saguenay, Jean Tremblay, parlait exactement dans le même sens que ce philosophe existentia­liste et athée, mardi, en enjoignant aux gens de sa région de se «mobiliser contre Greenpeace et les intellectu­els de ce monde»: des gens qui ne se mêlent pas de leurs affaires, et qui menacent des emplois pour sauver des arbres.

Que les enverdeurs enverdent le maire de Saguenay n’est pas surprenant. Mais ses propos ont fait le tour du web parce qu’ils représente­nt plutôt un conformism­e vieillot, qu’on croyait démodé pour toujours – la méfiance envers les intellectu­els.

Duplessis disait d’un auteur qu’il «ne fait rien, il écrit». Quand Jean-Charles Harvey publia Les Demi-civilisés, critiquant l’hypocrisie du Québec catholique en 1938, l’évêché mit le livre à l’index et Harvey perdit son emploi à la bibliothèq­ue de l’Assemblée législativ­e. Paul Borduas fut viré de l’École du meuble après avoir signé le Refus global en 1948. Sa communauté des frères maristes interdit à Jean-Paul Desbiens d’assister au lancement de son propre livre, Les insolences du frère Untel , en 1960.

L’INTELLO MARGINAL

Dans ce temps-là, il suffisait de dépeindre l’intellectu­el en marginal vivant dans sa tour d’ivoire, loin des préoccupat­ions du «vrai monde» sur le plancher des vaches. «Le progrès vous dérange? Excusez-nous!» disait Gilles Lamontagne, maire de Québec dans les années 1970.

En 1976, deuxième révolution tranquille: la classe intellectu­elle prend le pouvoir – et depuis, c’est elle qui conserve le contrôle du crachoir. Fin du conformism­e? Non, un nouveau conformism­e, tout au plus. Depuis, l’intellectu­el est forcément de gauche, nationalis­te, indépendan­tiste et écologiste. Le journalist­e est devenu un travailleu­r de l’informatio­n, et le politicien – même un ancien de Radio-Canada – parle comme un personnage de Tremblay.

Dans les années 1990, un jeune Québécois francophon­e, libéral, bilingue et fédéralist­e, un Stéphane Dion, mettons, était aussi bienvenu sur le Plateau qu’un J.C. Harvey dans les salons de la Grande Allée 50 ans auparavant.

Aujourd’hui, on interdit les mosquées au nom de la laïcité, comme il y a 70 ans on barrait les synagogues au nom de la foi. Grosse différence?

Dans une société où le conformism­e vient des intellectu­els de la classe parlante, on ne peut s’étonner que ce soient des mononcles comme Jean Tremblay, maire de Saguenay, qui prennent sur eux de le dénoncer.

Qu’on aime les entendre ou pas…

l’intellectu­el est fOrcément de gAuche, nAtiOnAlis­te, indépendAn­tiste et écOlOgiste

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