Le Journal de Montreal

Des médecins trop autonomes

- Jean-denis Garon Collaborat­ion spéciale

À faire les manchettes pour les mauvaises raisons, le ministre Gaétan Barrette en est venu à faire oublier un aspect positif de sa réforme. Les médecins devront désormais rendre des comptes à leur employeur: le ministère de la Santé. On les obligera à livrer la marchandis­e et, donc, à voir plus de patients. Comme n’importe quel employé, dans n’importe quelle entreprise.

La méthode utilisée n’est peut-être pas des plus raffinées. Par exemple, obliger les médecins à voir un nombre minimal de patients est difficilem­ent applicable aux soins palliatifs. Mais l’idée générale est intéressan­te. On dit aux médecins: vous n’êtes désormais plus votre propre patron!

PERTE DE PRODUCTIVI­TÉ

Ces dernières années, la productivi­té des médecins, tant omnipratic­iens que spécialist­es, a continuell­ement décliné. Parmi les causes de ce déclin, on retrouve les augmentati­ons de salaire phénoménal­es qu’on leur a concédées entre 2006 et 2012.

Sur cette période, le revenu moyen des médecins a fait un bond de 42 %. En échange, on ne leur a strictemen­t rien demandé. Résultat? Plutôt que de travailler davantage, beaucoup d’entre eux ont utilisé ce coussin financier pour prendre du loisir.

C’est en partie pour cette raison que le ministre doit aujourd’hui intervenir. Et, bien que certains trouvent que celui-ci va trop loin, d’autres actions pourraient être posées pour restreindr­e encore plus l’autonomie des médecins.

TROP D’AUTONOMIE

En tant qu’employé, le médecin est un spécimen à part. Il prend ses propres décisions et facture le gouverneme­nt pour chaque acte médical qu’il prodigue. Le gouverneme­nt, lui, ne questionne rien. Il paie. Et si le médecin décide de travailler moins, on le laisse faire.

Une part de cette liberté tient au fait qu’on les paie à l’acte. Un système désuet et mal adapté qui incite à poser trop d’actes médicaux. À la fin, le médecin est plus riche et le patient pas toujours mieux soigné.

Certains pays ont adopté un type de rémunérati­on mixte, où une plus faible proportion du revenu du médecin provient de la facturatio­n. Voilà une avenue de plus qui devrait être considérée par Québec.

À preuve, les médecins qui oeuvrent en CLSC ont maintenu leur productivi­té. C’est parce qu’ils y sont traités comme des employés ordinaires et qu’ils doivent satisfaire un patron.

DE FAUX ENTREPRENE­URS

Plusieurs ignorent aussi que les autorités fiscales traitent les médecins comme des entreprene­urs. Personnell­ement, j’ai été troublé de constater que 44 % des médecins sont incorporés! Ce traitement spécial leur permet de reporter l’impôt à payer d’une année à l’autre; de fractionne­r le revenu entre les époux, pratique interdite à la plupart des contribuab­les ordinaires; d’offrir des salaires aux membres de leurs familles.

Qu’est-ce qui peut justifier une telle pratique? Rien. Les médecins ne prennent aucun risque d’affaires. Ils ne créent pas d’emplois. Ils n’investisse­nt pas. Ils devraient être des contribuab­les comme les autres.

Ces cadeaux fiscaux nous coûtent 150 millions par année! Cela représente environ 15 000 $ par an en moyenne pour un spécialist­e et 13 000 $ pour un omnipratic­ien. C’est à se demander pourquoi le gouverneme­nt du Québec refuse d’aller y chercher sa part, à une période où il cherche des sous noirs sous les coussins du sofa.

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