Le Journal de Montreal

Qu’en dirait Claude Jutra ?

- gilles prOulx gilles.proulx@quebecorme­dia.com

je n’ai rien par principe cOntre le jOual au théâtre Ou au cinéMa. On iMagine Mal un persOnnage De garagiste s’expriMer en alexanDrin­s

Feu Claude Jutra mérite mieux que ces artistes à la bouche molle qui pimentent leurs allocution­s au micro de mots comme «marde» ou «osti» pendant le gala nommé en son honneur. Avec cette vulgarité normalisée, banalisée, y compris aux heures de grande écoute à la télévision, le Québec est vraiment une société distincte.

Dimanche soir dernier, une soirée où les téléphages sont nombreux, j’ai zappé pour tomber pendant une dizaine de minutes sur la distributi­on des Jutra. Croyez-le ou non, à trois reprises, j’ai entendu le mot «marde». «C’est pas de la marde. Ça vaut pas de la marde.» De la «marde» par-ci par-là. Suis-je tombé sur ce segment par malchance? J’ai changé de poste.

On me dit que Xavier Dolan s’exprime bien, qu’il cultive son vocabulair­e et qu’il a le souci du mot juste: bonne nouvelle. Ça nous change du rocker national qui sacre à La Voix où d’Isabelle Boulay qui régresse au niveau linguistiq­ue consternan­t de ses compatriot­es dès qu’elle se retrouve au Québec.

Et pendant ce temps-là on s’indigne parce qu’une humoriste française imite le joual? Sommes-nous gênés de notre reflet dans le miroir? Ce n’est pas la caricature qui est méchante. C’est nous qui sommes caricatura­ux.

LA PLACE DU JOUAL

Je n’ai rien par principe contre le joual au théâtre ou au cinéma. On imagine mal un personnage de garagiste s’exprimer en alexandrin­s. (Quoiqu’un militaire s’exprimant en alexandrin­s, ce qui n’est guère plus crédible, ça donne un Cyrano de Bergerac.) Michel Tremblay, j’aime son oeuvre. La pièce de théâtre comique Broue , ça contient des sacres, et c’est réussi. Le joual qui défiait l’institutio­n avec

L’Osstidcho dans les années 1960 était libérateur.

Le problème, c’est quand le joual veut venir lui-même chercher le trophée et prendre le micro pendant un gala.

Pourquoi cette banalisati­on de la vulgarité? Imaginez qu’un artiste américain se permette d’utiliser le mot «shit» aux Oscars. Même le mot «damn» (maudit) serait à peine toléré. Ou pensez aux Césars, en France. Ces galas honorent la culture et la langue. Ils respectent un protocole qui assure le prestige de l’industrie.

FAIRE PEUPLE

Nos artistes sont victimes d’un immense malentendu. Faire peuple ne séduit pas le peuple.

Le peuple a préféré Jean Drapeau, qui se voulait d’un niveau supérieur.

Il a aimé René Lévesque, qui ne sous-estimait pas l’intelligen­ce des gens. Il aime Lucien Bouchard et ses effets de toges parfois cicéronien­s.

C’est triste à dire, mais… le peuple a même aimé Pierre Elliott Trudeau et ses airs de grands seigneurs!

Le laxisme langagier des élites est peut-être même une des causes du désengagem­ent populaire en politique et… dans nos salles de cinéma pour voir des films québécois.

Prenez les séries américaine­s les plus populaires de l’heure. Dans combien d’entre elles les personnage­s passent-ils leur temps à sacrer? Comparez avec les séries québécoise­s, maintenant. Qu’en dirait Claude Jutra?

Pour le prochain gala, faudrait-il un avertissem­ent aux téléspecta­teurs pour déconseill­er l’émission aux enfants et en appeler à la supervisio­n parentale?

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