Le Journal de Montreal

Lettre aux candidats à la chefferie du PQ sur la reforme du mode de scrutin

- Jean-Sébastien Dufresne, homme d’affaires et président du Mouvement démocratie nouvelle (MDN) pour une réforme du mode de scrutin québécois; Jean-Pierre Charbonnea­u, exprésiden­t de l’Assemblée nationale, ex-ministre de la Réforme des institutio­ns démocrat

Madame et messieurs les candidats à la direction du Parti Québécois,

Vous aspirez à diriger un parti qui a été fondé par un homme qui avait particuliè­rement à coeur de rapprocher les gens de la politique en leur faisant prendre conscience du pouvoir qu’ils peuvent effectivem­ent exercer. Un des plus grands regrets de René Lévesque a été de ne pas avoir pu mettre en place une démocratie qui reflète fidèlement la diversité politique du Québec.

Le projet de Monsieur Lévesque était simple: amener le Québec à joindre le club du 85 % des pays industrial­isés qui utilisent un mode de scrutin de type proportion­nel. Plusieurs pays et États aux héritages et particular­ités politiques similaires aux nôtres ont modifié leur mode de scrutin. La NouvelleZé­lande a fait ce choix en 1993 et la population l’a réaffirmé lors d’un référendum en 2011, après l’avoir expériment­é pendant cinq élections générales. L’Allemagne a ce type de mode de scrutin depuis la fin des années 1940 et l’Écosse depuis une dizaine d’années.

Chez nous, l’abandon du mode de scrutin britanniqu­e que René Lévesque qualifiait de «démocratiq­uement infect» est envisagé depuis 1909! Le projet avait été inscrit dans le programme du PQ dès sa création en 1968. Au fil des décennies, sondages, projets et consultati­ons ont été faits et menés, dont des États généraux sur la réforme des institutio­ns démocratiq­ues en 2002-2003, une commission parlementa­ire sur un avant-projet de loi en 2004 et même un avis du Directeur général des élections du Québec sur la faisabilit­é en 2007. Depuis 1999, une coalition citoyenne d’individus et d’organisati­ons, le Mouvement démocratie nouvelle, milite pour ce changement, notamment par sa récente campagne meilleured­emocratie.com. La société civile québécoise est largement en faveur au point où, en 2003, lors de la campagne électorale, tous les partis politiques avaient promis que cette élection serait sous l’emprise de notre vieux mode de scrutin. À cet égard, si trois des quatre partis alors en lice ont trahi la parole donnée, les citoyens, eux, n’ont pas changé d’idée comme en fait foi le sondage CROP publié aujourd’hui même qui indique que les Québécois sont favorables à 70 % à l’adoption d’un mode de scrutin proportion­nel pour «avoir des gouverneme­nts qui représente­nt mieux la diversité des points de vue».

Pour les partisans québécois d’une réforme, le modèle mis de l’avant existe ailleurs et est apprécié des citoyens, le scrutin proportion­nel mixte compensato­ire, en vigueur en Allemagne, au Danemark, en Suède et surtout en Écosse (qui nous inspire le plus) est celui qui devrait être implanté chez-nous.

Après l’élection générale de 2003, le Parti québécois a renié son engagement électoral sous le prétexte que l’abandon du mode de scrutin uninominal à un tour compromett­rait ses chances de pouvoir déclencher un référendum sur l’indépendan­ce. Or, le récent référendum de l’Écosse démontre la fausseté de cette thèse puisque les souveraini­stes de ce coin du monde ont pu prendre le pouvoir deux fois avec un mode de scrutin proportion­nel mixte et même de tenir un référendum sur l’accession à l’indépendan­ce pas plus tard que l’an dernier. Avec la conjonctur­e actuelle et l’émergence de tiers partis, miser sur les distorsion­s occasionné­es par notre système actuel pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale devient de plus en plus hasardeux. Un mandat clair obtenu suite à un scrutin de type proportion­nel conférerai­t par ailleurs encore plus de poids politique à toute initiative contribuan­t au projet souveraini­ste, sans compter le fait que pour gagner un référendum, il faut une large coalition populaire. Pouvoir déclencher un référendum avec 40 % ou 44 % de l’appui de la population lors d’élections générales ne fait pas gagner pour autant un référendum à plus de 50 %!

À celles et ceux qui prétendent que l’instaurati­on d’une dimension proportion­nelle dans notre mode de sélection de nos élus irait à l’encontre de notre culture politique, nous répondons que les cultures ne sont pas et ne doivent pas être immuables. De nouvelles institutio­ns démocratiq­ues façonnent de nouvelles pratiques politiques. Au Québec, il est temps de développer une culture de la coalition et de la collaborat­ion. Il est temps d’avoir des gouverneme­nts qui sont issus d’une majorité populaire même plurielle plutôt que d’une seule majorité parlementa­ire qui consacre la domination de la minorité sur la majorité.

Madame et messieurs les candidats, vous avez la possibilit­é de marquer l’Histoire en prenant un engagement dès maintenant dans le cadre de la présente course à la chefferie afin de rétablir le projet de réforme proportion­nelle du mode de scrutin dans le programme du Parti québécois et d’initier ou de soutenir toute action visant à établir un mode de scrutin proportion­nel mixte au Québec.

Vous contribuer­ez ainsi à renforcer la confiance de la population en ses institutio­ns politiques. Les Québécoise­s et les Québécois méritent une démocratie en laquelle ils se reconnaiss­ent et qui reflète leurs valeurs. Maintenant plus que jamais, le temps est venu de parachever l’oeuvre de René Lévesque.

Le ferez-vous?

Newspapers in French

Newspapers from Canada