Le Journal de Montreal

Monseigneu­r Turcotte : la foi en héritage

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote Quels sont vos meilleurs souvenirs de cet homme du peuple ? Partagez vos souvenirs avec les lecteurs du Journal et nous les publierons. Jdem.com/opinions

On apprenait récemment que Monseigneu­r Turcotte entrait aux soins palliatifs. La suite se laissait deviner. Hier, la nouvelle est tombée: il est décédé.

C’est une figure aussi importante qu’attachante du catholicis­me québécois qui nous quitte ainsi. Dans une société qui a développé au fil des cinquante dernières années une profonde rancoeur à l’endroit de l’Église, il aura tenu un pari impossible: donner un visage sympathiqu­e au catholicis­me.

UN HOMME GÉNÉREUX

Jean-Claude Turcotte avait la physionomi­e bonhomme et une manière toute simple de s’inscrire dans la société. Cela contribuai­t certaineme­nt à son charisme. Il était tout en rondeur et d’une bienveilla­nce manifeste. On le savait près des pauvres et des humbles. On le disait aussi d’une générosité sans bornes. Et la rumeur était vraie. Ce n’était pas un personnage composé pour les médias.

Manifestem­ent, il n’avait pas la foi d’un théologien, assénant ses vérités de très haut et de très loin, mais celle d’un héritier, qui témoignait, dans notre monde déchristia­nisé, de la persistanc­e d’un héritage et d’une mémoire. Cela ne veut pas dire pour autant que les théologien­s ne sont pas nécessaire­s. La foi d’un héritier est moins complexe, mais elle touche probableme­nt plus spontanéme­nt les coeurs.

Il était devenu prêtre en 1959, une année avant le début de la Révolution tranquille. Comme tant d’autres prêtes, il aurait pu défroquer dans les années suivantes. Longtemps, ceux qui voulaient servir notre peuple devaient passer par l’Église. C’était l’institutio­n principale du peuple canadien-français. À partir de 1960, ce n’était plus nécessaire. Pourtant, Jean-Claude Turcotte est demeuré fidèle à sa vocation.

NATIONALIS­TE

Dans le Nouveau Monde qui naissait, il avait décidé de faire valoir la meilleure part de l’ancien. Mais sans amertume. Il aurait pu s’enfermer dans l’Église comme dans une forteresse et maudire son mauvais sort. Il s’est plutôt investi dans la cité en rappelant que les catholique­s y avaient une place, que leur religion n’était pas réductible à sa caricature. Il faisait corps avec son peuple, et d’ailleurs, on avait fini par deviner qu’il partageait ses aspiration­s nationales.

J’entends déjà la critique: l’homme était admirable, mais il endossait la morale sexuelle de l’Église. Évidemment, cette morale n’est plus la nôtre, mais on ne saurait sérieuseme­nt en vouloir à un homme d’Église de défendre ses positions. On notera qu’il le faisait sans dureté ni condescend­ance. D’ailleurs, chez les catholique­s, on lui a souvent reproché de se faire trop discret en la matière. Il rappelait aussi aux Québécois ce que bien peu parvenaien­t à leur faire entendre: le catholicis­me était une part fondamenta­le d’eux-mêmes. Partout, il a laissé sa trace. C’est à travers lui que nous avons longtemps marqué les grandes étapes de l’existence, de la naissance à la mort en passant par le mariage. C’est à travers lui que nous avons accédé à la beauté. Quiconque visite vraiment notre pays n’a pas le choix de visiter ses églises.

L’essentiel est simple: Monseigneu­r Turcotte était un homme fidèle, à son peuple comme à sa religion. Je crois comprendre que chez lui, les deux allaient ensemble.

Il aura tenu un pari impossible : donner un visage sympathiqu­e au catholicis­me

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