Le Journal de Montreal

Le jouisseur : voilà l’ennemi !

- MATHIEU BOCK-CÔTÉ Sociologue, auteur et chroniqueu­r mathieu.bock-cote@quebecorme­dia.com @mbockcote

Le gouverneme­nt québécois envisage en ce moment d’interdire la cigarette sur les terrasses. Et la vapoteuse sera soumise aux mêmes règles que la cigarette. Un coup parti, il pense aussi l’interdire dans les voitures où se trouvent des enfants. Il faudrait protéger les non-fumeurs et les marmots. Plusieurs disent bravo.

Mais cette propositio­n déborde largement les exigences de la santé publique. Et touche à notre conception de la vie privée. Jusqu’où le gouverneme­nt peutil intervenir dans nos vies pour faire notre bien malgré nous? D’une mesure de bonne foi à une autre, ne rogne-t-il pas progressiv­ement nos libertés? Les fumeurs et les non-fumeurs n’avaient-ils pas peu à peu trouvé une manière de cohabiter?

Je devine l’argument. Nous avons devant nous l’industrie du tabac. L’individu ne peut se battre seul contre elle. L’État doit la civiliser et lui imposer des barrières. Il y a du vrai. Le capitalism­e a besoin qu’on lui tienne la bride et les grandes compagnies ne sont pas des entreprise­s de bienfaisan­ce. Mais tôt ou tard, on se demandera quelle est la part de la responsabi­lité individuel­le.

LA TYRANNIE DU BIEN

Nous vivons sous le règne de la surveillan­ce généralisé­e. Elle s’étend à tous les domaines de la vie. Le gouverneme­nt entend lutter contre le tabagisme, mais aussi contre l’obésité. Au fil du temps, il nous a aussi rappelé de manger nos légumes chaque jour, de faire du sport, de ne pas dire de gros mots et ainsi de suite. C’est la tyrannie du bien. On comprend la logique: le plaisir tue, surtout lorsqu’il n’est pas mesuré. La vie ne risque-t-elle pas toutefois de devenir de plus en plus beige? L’interdicti­on devient de plus en plus la règle. Méfionsnou­s des bons vins, car l’ivresse nous guette! Méfions-nous du banquet, car d’un excès de table à l’autre, nous rejoindron­s le camp des adipeux. Méfions-nous aussi de la séduction, car un regard de trop nous fera passer du charme impénitent à la drague lourde agressante.

Et tant qu’à faire, on surveiller­a de manière presque policière les propos des uns et des autres. On dénoncera les blagues grivoises, on punira ceux qui montent le ton dans une discussion passionnée en les accusant d’intimidati­on. L’objectif, c’est la création d’un environnem­ent aseptisé. Tout le monde sera beau. Tout le monde sera fin. Tout le monde sera mort.

LE FUMEUR DIABOLISÉ

Vérité désagréabl­e: chaque société a besoin d’ennemis à combattre. La nôtre ne se veut plus d’ennemis extérieurs. Donc elle s’imagine un ennemi intérieur qui la ronge. Le fumeur sera diabolisé. C’est le nouvel ennemi public. Mais derrière lui, on vise le jouisseur et celui qui ne demande pas une permission administra­tive avant de s’amuser.

Bien personnell­ement, je trouve la cigarette dégueulass­e. Et je ne dis pas un instant qu’il ne faut pas la contrôler. Mais du contrôle à l’éradicatio­n, de la vigilance à la pénitence, il y a un pas que je ne franchirai­s pas. La chasser des restos? C’était nécessaire. La chasser des terrasses? Ne faudrait-il pas une certaine mesure et laisser vivre les gens?

Surtout, je préfère vivre dans un monde grouillant de vie, qui pique et qui grafigne, et qui quelquefoi­s, m’incommode, que dans une société étouffante, contrôlée par les nouveaux curés du bien-vivre, du bien-manger, du bienboire, du bien-parler et du bien-baiser.

On comprend la logique : le plaisir tue, surtout lorsqu’il n’est pas mesuré. La vie ne risque-t-elle pas toutefois de devenir de plus en plus beige ?

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