Le Journal de Montreal

Huées pour M. Harper

La semaine dernière, j’adressais mes félicitati­ons au gouverneme­nt de Stephen Harper pour sa loi C-21 visant la réduction de la paperasse. Cette semaine, en revanche, je me dois d’exprimer le profond dégoût qu’il m’inspire pour avoir proposé l’infâme loi

- NATHALIE ELGRABLY-LEVY

Certes, les Canadiens souhaitent tous voir la menace terroriste appartenir rapidement au passé et retrouver une quiétude trop longtemps oubliée. C’est d’ailleurs certaineme­nt pour exploiter cette corde sensible qu’Ottawa a choisi l’adjectif «antiterror­iste» pour qualifier sa loi. Comme les mots recèlent un pouvoir évocateur exceptionn­el, ils peuvent servir à manipuler l’opinion publique. Voilà pourquoi il ne faut jamais juger une loi à son

titre, mais bien à ses dispositio­ns.

MESURES DRACONIENN­ES

Ainsi, sous prétexte de vouloir protéger les Canadiens du spectre terroriste, le gouverneme­nt fédéral a introduit une série de mesures draconienn­es formulées dans une phraséolog­ie fumeuse ouverte aux multiples interpréta­tions.

Le gouverneme­nt décuple notamment les pouvoirs des services de renseignem­ents afin de leur permettre une surveillan­ce de masse quasi illimitée et un contrôle sans précédent des communicat­ions et de l’univers numérique; il permet dorénavant aux agences fédérales de croiser leurs données au mépris du respect la vie privée; et il facilite grandement l’arrestatio­n d’un individu en permettant aux agences fédérales d’obtenir des auditions secrètes avec un juge et en l’absence de l’avocat de la défense.

Devant cette montée en puissance de l’État-espion, deux questions s’imposent.

Premièreme­nt, peut-on être surveillé et libre? Certes, la surveillan­ce n’empêche personne d’utiliser les moyens de communicat­ion et les technologi­es informatiq­ues. Mais la notion de liberté demande plus que l’absence d’une contrainte effective freinant l’action. Elle exige également l’absence d’une contrainte potentiell­e.

Or, quand l’État se dote d’une police secrète non redevable et jouissant de pouvoirs démesurés, il peut à tout instant décider de limiter notre champ d’action. Le gouverneme­nt actuel n’a certaineme­nt aucune intention malveillan­te, mais quelle garantie avons-nous qu’il en sera ainsi de ses successeur­s? La simple existence d’un potentiel d’interventi­on, parce qu’il nous met à la merci d’un pouvoir arbitraire, est une atteinte à la liberté. Être libre, c’est avoir l’assurance qu’aucune invasion de nos droits n’est possible, ce qui est incompatib­le avec un État qui pratique la surveillan­ce de masse et la cyberfilat­ure, et qui nie aux individus le contrôle de leurs traces numériques.

UNE MAIN TOTALITAIR­E

Deuxièmeme­nt, l’érosion de la liberté augmente-t-elle la sécurité? Au fait de l’existence de l’espionnage de masse, les terroriste­s, criminels et autres plaies de ce genre seront nécessaire­ment plus prudents. Ils abandonner­ont probableme­nt les nouvelles technologi­es pour revenir à des moyens de communicat­ion moins efficaces, mais à l’abri de l’oeil scrutateur de Big Brother. Ils pourraient également développer un vocabulair­e qu’eux seuls comprendra­ient en remplaçant des mots suspects par des mots inoffensif­s. Par exemple, ils pourraient substituer «planter des fleurs» à «poser une bombe» et ainsi échapper aux algorithme­s de cyberfilat­ure.

En revanche, quiconque écrirait innocemmen­t que sa nouvelle voisine est une «bombe» ferait immédiatem­ent l’objet d’une enquête invasive.

Marchander notre liberté pour plus de sécurité est une transactio­n dangereuse sans possibilit­é de retour en arrière. Même en lui accolant les épithètes les plus élégantes et accrocheus­es, la loi C51 n’est rien d’autre qu’une main totalitair­e dans un gant de démocratie.

Même en lui accolant les épithètes les plus élégantes et accrocheus­es, la loi C-51 n’est rien d’autre qu’une main totalitair­e dans un gant de démocratie.

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