Huées pour M. Harper
La semaine dernière, j’adressais mes félicitations au gouvernement de Stephen Harper pour sa loi C-21 visant la réduction de la paperasse. Cette semaine, en revanche, je me dois d’exprimer le profond dégoût qu’il m’inspire pour avoir proposé l’infâme loi
Certes, les Canadiens souhaitent tous voir la menace terroriste appartenir rapidement au passé et retrouver une quiétude trop longtemps oubliée. C’est d’ailleurs certainement pour exploiter cette corde sensible qu’Ottawa a choisi l’adjectif «antiterroriste» pour qualifier sa loi. Comme les mots recèlent un pouvoir évocateur exceptionnel, ils peuvent servir à manipuler l’opinion publique. Voilà pourquoi il ne faut jamais juger une loi à son
titre, mais bien à ses dispositions.
MESURES DRACONIENNES
Ainsi, sous prétexte de vouloir protéger les Canadiens du spectre terroriste, le gouvernement fédéral a introduit une série de mesures draconiennes formulées dans une phraséologie fumeuse ouverte aux multiples interprétations.
Le gouvernement décuple notamment les pouvoirs des services de renseignements afin de leur permettre une surveillance de masse quasi illimitée et un contrôle sans précédent des communications et de l’univers numérique; il permet dorénavant aux agences fédérales de croiser leurs données au mépris du respect la vie privée; et il facilite grandement l’arrestation d’un individu en permettant aux agences fédérales d’obtenir des auditions secrètes avec un juge et en l’absence de l’avocat de la défense.
Devant cette montée en puissance de l’État-espion, deux questions s’imposent.
Premièrement, peut-on être surveillé et libre? Certes, la surveillance n’empêche personne d’utiliser les moyens de communication et les technologies informatiques. Mais la notion de liberté demande plus que l’absence d’une contrainte effective freinant l’action. Elle exige également l’absence d’une contrainte potentielle.
Or, quand l’État se dote d’une police secrète non redevable et jouissant de pouvoirs démesurés, il peut à tout instant décider de limiter notre champ d’action. Le gouvernement actuel n’a certainement aucune intention malveillante, mais quelle garantie avons-nous qu’il en sera ainsi de ses successeurs? La simple existence d’un potentiel d’intervention, parce qu’il nous met à la merci d’un pouvoir arbitraire, est une atteinte à la liberté. Être libre, c’est avoir l’assurance qu’aucune invasion de nos droits n’est possible, ce qui est incompatible avec un État qui pratique la surveillance de masse et la cyberfilature, et qui nie aux individus le contrôle de leurs traces numériques.
UNE MAIN TOTALITAIRE
Deuxièmement, l’érosion de la liberté augmente-t-elle la sécurité? Au fait de l’existence de l’espionnage de masse, les terroristes, criminels et autres plaies de ce genre seront nécessairement plus prudents. Ils abandonneront probablement les nouvelles technologies pour revenir à des moyens de communication moins efficaces, mais à l’abri de l’oeil scrutateur de Big Brother. Ils pourraient également développer un vocabulaire qu’eux seuls comprendraient en remplaçant des mots suspects par des mots inoffensifs. Par exemple, ils pourraient substituer «planter des fleurs» à «poser une bombe» et ainsi échapper aux algorithmes de cyberfilature.
En revanche, quiconque écrirait innocemment que sa nouvelle voisine est une «bombe» ferait immédiatement l’objet d’une enquête invasive.
Marchander notre liberté pour plus de sécurité est une transaction dangereuse sans possibilité de retour en arrière. Même en lui accolant les épithètes les plus élégantes et accrocheuses, la loi C51 n’est rien d’autre qu’une main totalitaire dans un gant de démocratie.
Même en lui accolant les épithètes les plus élégantes et accrocheuses, la loi C-51 n’est rien d’autre qu’une main totalitaire dans un gant de démocratie.