Un projet de société ?
Le remarquable reportage de Daphnée Dion-Viens sur les succès de l’Ontario montre que l’échec scolaire à grande échelle n’est pas une fatalité.
On ne peut sauver tous les enfants du décrochage, mais une société peut améliorer sa performance si elle le veut vraiment et si elle s’y prend de la bonne manière.
La première clé du succès ontarien, c’est la volonté politique. Ceux d’en haut doivent le vouloir, s’y mettre, accepter que ce soit un chantier de longue durée, qui ne rapportera pas beaucoup de votes, et ne pas lâcher.
La deuxième clé, ce sont les enseignants. Il faut les sélectionner soigneusement, bien les former, les soutenir, les valoriser et les payer correctement.
La troisième clé, c’est une intervention rapide, énergique et soutenue au premier signe de difficulté de l’élève.
La quatrième clé, c’est la revalorisation des programmes débouchant sur des métiers manuels. On ne fait pas semblant de croire que tous les jeunes devraient aller à l’université.
AGIR
Chaque société aborde la réussite scolaire à l’aune de ses valeurs.
Aux États-Unis, l’économiste Roland Fryer, de l’Université Harvard, a constaté que, dans les écoles des quartiers noirs et pauvres, les enfants qui ont de bonnes notes ont moins d’amis que les cancres. C’est exactement l’inverse chez les Blancs. Dans ces milieux défavorisés où il n’est pas «cool» de réussir, des récompenses en argent aux élèves qui persévèrent semblent donner des résultats encourageants.
À Chicago, en 2013, le maire Rahm Emanuel a carrément fermé 47 écoles publiques dont les performances étaient atroces. D’autres ont fait pareil.
Ces décisions soulevèrent des tollés. Mais une vaste étude du Thomas Fordham Institute vient d’établir que les enfants réimplantés ailleurs ont vu leurs résultats s’améliorer.
Cette approche radicale n’est pas appropriée pour le Québec, mais elle témoigne de l’importance que les autorités américaines attachent à l’enjeu.
L’approche ontarienne, elle, est aisément transposable chez nous. Elle repose sur des mesures préconisées par des spécialistes québécois depuis longtemps. Mais on ne les écoute pas.
Chez nous, on fait de beaux discours, mais rien n’est plus tristement révélateur que la manipulation des statistiques gouvernementales pour donner un portrait trompeur de la diplomation. Au Québec, on peut être «diplômé» sans avoir terminé son secondaire V.
ENSEMBLE
Évidemment, lutter contre le décrochage scolaire ne fait pas des manchettes spectaculaires dans les médias, sauf en cas de ratés. C’est moins rentable politiquement qu’inaugurer un hôpital ou un tronçon de route.
Cette lutte supposerait aussi de ne pas être obnubilé par la santé ou par l’atteinte de l’équilibre budgétaire dans les meilleurs délais.
Elle nécessiterait qu’on ne change pas de ministre de l’Éducation tous les 18 mois et qu’on ne confie pas cette fonction à des désastres sur deux pieds comme Yves Bolduc.
Elle implique également de lutter contre notre vieux mépris collectif pour l’instruction. Chez nous, celui qui s’efforce de bien parler et qui est capable de citer quelques auteurs qu’il a réellement lus passe trop souvent pour un snob prétentieux.
On dit que le Québec se cherche désespérément un projet de société. Hormis la souveraineté, je n’en vois pas de plus beau, de plus noble, de plus urgent.
Au Québec, on peut être « diplômé » sans avoir terminé son secondaire