La popularité de l’austérité
Il y a 40 ans aujourd’hui, je débarquais à Londres pour la première fois, visa de travail jeunesse en poche, rêvant d’y passer le reste de ma vie. J’ai dû rentrer à la maison, futur ex-mari au bras, passeport britannique en main et léger accent british en bouche, quand ma mère est décédée.
Je ramenais aussi un regard nouveau sur la vie: ayant grandi dans Hochelaga-Maisonneuve, j’ai compris que mon enfance avait été tapissée d’abondance. Chez ma belle-soeur, à Manchester, pas de toilettes dans la maison, pas de frigo dans la cuisine. J’ai vu des enfants courir à l’école pieds nus en janvier. Le pays était au bord de la faillite. En 1976, craignant que la livre ne s’effondre, le gouvernement travailliste a demandé un prêt d’urgence au Fonds monétaire international. Prêt accordé, mais fidèle à ses habitudes, le FMI a pris le contrôle de l’économie britannique. Vous avez dit «austérité»?
Au même moment, le pays était aussi paralysé par des grèves et étouffé par l’hyperinflation. Le gouvernement avait même instauré la semaine de trois jours pour économiser l’électricité et la BBC devait cesser ses programmes à 22 h 30.
MESURES DRASTIQUES
Quarante ans plus tard, les Anglais ont remis au pouvoir un gouvernement voué à l’austérité, après cinq ans… d’austérité. Depuis 2010, les dépenses sociales ont été réduites du tiers. On a coupé de 30% les transferts aux gouvernements locaux. Le budget de l’éducation a été réduit, mais des réformes spectaculaires ont revitalisé le secteur public.
Seuls les budgets de la santé et de l’aide internationale ont augmenté.
En contrepartie, le déficit budgétaire, le plus gros d’Europe, a fondu de moitié. Deux millions d’emplois, la majorité à temps plein, ont été créés sous le gouvernement conservateur, réduisant le chômage à 5,6%. Les salaires augmentent même si l’inflation est à zéro. La classe moyenne a vu son niveau de vie augmenter et la pauvreté chez les aînés et les enfants a reculé. Tout n’est pas parfait, mais les gros nuages noirs se sont dissipés.
Côté revenus, les conservateurs ont brisé un tabou et augmenté les impôts sur les gains en capital et sur les profits bancaires. Par contre, les impôts des riches (300 000 $ CAN +/an) ont été réduits de cinq points et la TVA est passée de 17,5% à 20%.
ILS EN REDEMANDENT
Alors pourquoi réélire un gouvernement qui annonce des coupes majeures, alors que l’Opposition, à gauche, promettait de dépenser pour stimuler l’économie?
Tout d’abord parce qu’à 89% du PIB, la dette à long terme coûte 30 milliards en intérêts par an. Le gouvernement doit s’y attaquer. Les Anglais le savent.
D’autre part, parce que l’austérité a fonctionné pour eux, comme pour l’Irlande et l’Estonie. Depuis 2013, le pays va mieux. Il a connu la deuxième plus forte croissance économique au monde et il remplace désormais la France au cinquième rang des économies mondiales.
Je crois aussi que les années 1970 ont laissé des traces dans l’inconscient collectif des Anglais, qui ne veulent plus jamais se faire dicter comment gérer leurs affaires par le Fonds monétaire international.
Et puis, la moitié du travail est faite, se disent sans doute les Anglais. Pourquoi retourner à la case zéro et tout recommencer dans 10 ans?
En 1976, craignant que la livre ne s’effondre, le gouvernement travailliste a demandé un prêt d’urgence au Fonds monétaire international