SOS patrimoine
La bibliothèque Saint-Sulpice a suscité quelques émois ces derniers jours. On a appris que, sans trop prévenir, le gouvernement Couillard la liquidait dans les petites annonces.
Très rapidement, l’opinion publique s’est mobilisée. On ne brade pas ainsi le patrimoine. Les édifices qui portent la marque de l’histoire devraient être traités avec quelque considération. Faut-il vraiment les réduire au statut de vieilles bâtisses?
À peu près au même moment, à Québec, sur la rue Saint-Jean, l’église Saint-Jean-Baptiste accueillait sa dernière messe. L’entretien coûtait trop cher. On devine son coût écrasant dans une société où le catholicisme est en déshérence, où la foi de nos pères suscite mépris ou incompréhension. La ministre Hélène David s’est dite ouverte à un projet de reconversion de l’église. SOS patrimoine!
QUÉBEC AMNÉSIQUE
Officiellement, au Québec, nous nous souvenons. C’est même écrit sur nos plaques d’immatriculation. C’est une magnifique devise. La mémoire civilise les hommes, elle leur apprend qu’ils ne sont pas nés d’hier, qu’ils sont les héritiers d’une civilisation qu’ils doivent conserver, entretenir, améliorer et transmettre. Se souvenir, c’est se grandir. Mais nous souvenonsnous vraiment?
L’amnésie est un mal généralisé à l’ensemble des sociétés occidentales.
Tous les peuples ont la mémoire courte. Et il s’en trouve pour les féliciter. On devrait vivre dans le présent, fantasmer sur l’avenir, mais ne plus jamais regarder le passé, sinon pour cracher dessus et nous féliciter de ne lui ressembler en rien. Un peu comme si nous étions les premiers humains intéressants.
Au Québec, pourtant, cette maladie de l’âme a quelque chose de plus tragique. On nous a convaincus que notre histoire commençait en 1960. Avant, c’était la Grande Noirceur. Nous n’aurions rien à en retenir. Le Québécois moderne est fils de rien. Il se croit ainsi exceptionnellement libre. Il lui vient rarement à l’idée qu’il n’est que terriblement nu et condamné à l’insignifiance.
La mémoire d’un peuple ne réside pas seulement dans ses livres. Elle s’incarne peut-être même d’abord dans l’architecture. Et quoi qu’en disent les contempteurs du catholicisme, ce dernier a semé chez nous beaucoup de beauté. Dans nos villages et nos villes, l’église est souvent le plus bel édifice. C’est normal. Il ne s’agissait pas d’un simple bâtiment fonctionnel. Elle devait magnifier la présence divine sur Terre.
LE DROIT À LA TRADITION
Le patrimoine religieux est paradoxal: il incarne ce qu’il y a de plus beau au Québec. Il incarne aussi cette part du passé dont on ne sait que faire. En prendre soin, n’est-ce pas reconnaître que l’Église ne nous a pas fait que du mal? L’Église était certainement une institution dominante, souvent écrasante. Mais c’est à travers elle que le génie créatif de nos artistes s’est longtemps exprimé. Le moment de se réconcilier avec notre passé est peut-être venu.
Se soucier du patrimoine religieux, au Québec, c’est se soucier du droit de l’homme d’habiter l’histoire, de s’établir dans un monde durable, qui le précède et lui survivra. C’est se soucier de l’héritage des siècles qui en fait un homme riche avant même ses premiers mots. On pourrait même parler d’un droit à la tradition, qui nous délivre de l’exiguïté d’un présent qui rend fou. Encore doit-on se l’approprier. L’État québécois doit sauver ce qui peut l’être.
Officiellement, au Québec, nous nous souvenons. C’est même écrit sur nos plaques d’immatriculation. Mais nous souvenons-nous vraiment ?