Le Journal de Montreal

Lac-Mégantic : choc post-traumatiqu­e

- RÉJEAN PARENT

Le suicide d’Yvon Ricard, chansonnie­r qui jouait au Musi-Café le soir du drame, révèle des plaies encore ouvertes pour cette municipali­té de la région de l’Estrie.

J’y ai passé le dernier week-end et j’ai observé la grande émotion qui persiste au sein de la population, malgré qu’il se soit écoulé deux années depuis le drame.

DÉTRESSE PERCEPTIBL­E

Je n’avais jamais mis les pieds à LacMéganti­c et je n’avais pas, comme des milliers de Québécois, éprouvé le besoin d’aller voir le lieu de la tragédie. C’est une invitation de collègues de travail, devenus de grands amis, qui m’ont amené à parcourir les rues de la municipali­té et les villes voisines pour y constater l’ampleur des dégâts, tant matériels qu’humains.

En traversant la Maison du temps et son allée en bois qui servent à commémorer la tragédie et ses 47 victimes, mon amie s’est mise à pleurer et à avoir la voix chevrotant­e pendant qu’elle nous expliquait les détails du dérailleme­nt, des explosions et du quartier détruit. Elle était pourtant bien loin de sa ville le soir du drame et elle n’a perdu aucun proche dans l’événement si ce n’est qu’elle connaissai­t quelques-unes des victimes, dont des amis de ses enfants.

Elle voit cependant son patelin qui ne sera plus le même. Elle entend les chicanes de délocalisa­tions et de reconstruc­tions qui ne font pas l’affaire de tous. Elle imagine le pire qui aurait pu arriver, si ses enfants avaient fait comme à leur habitude et avaient passé leur soirée au Musi-Café. Elle entend des concitoyen­s qui appréhende­nt la prochaine catastroph­e parce qu’on continuera de transporte­r des hydrocarbu­res sur une voie ferrée qui est loin d’avoir été rendue sécuritair­e. Impuissant­e, elle fait sienne toute cette détresse parce que c’est dans ses gènes de prendre soin des autres.

CRAINTES POUR L’AVENIR

Le suicide d’Yvon Ricard n’a pas semé une onde de choc uniquement parce qu’il était adulé. Il ajoute aussi à l’inquiétude d’une population encore traumatisé­e. Celle-ci voit une personne mettre fin à ses jours plus de deux ans après la tragédie sans qu’elle soit quotidienn­ement dans les méandres de la reconstruc­tion humaine et matérielle de LacMéganti­c.

Mes amis craignent que le geste du chansonnie­r puisse être imité par d’autres concitoyen­s qui souffrirai­ent du syndrome du survivant. Certains peuvent s’en vouloir d’être en vie à la place d’un être cher disparu dans l’incendie. D’autres se remettent difficilem­ent des pertes matérielle­s encourues. Plusieurs désespèren­t des souvenirs perdus et du passé qui leur a été arraché. On peut y ajouter les propriétai­res de commerces qui peinent à reprendre leurs affaires et subissent des tracasseri­es en tous genres.

La mort d’Yvon Ricard est regrettabl­e et elle deviendrai­t inutile, si elle ne sert pas d’alarme et d’invitation aux autorités d’être plus attentives à l’état des personnes. Nous retrouvons aujourd’hui, à l’emplacemen­t du centre-ville de jadis, un vaste espace urbain désert et clôturé qui rappelle en permanence la tragédie et sème la tristesse.

Il devient urgent de combler ce vide en reconstrui­sant un centre-ville qui régénérera le paysage et permettra aux esprits de se forger de nouveaux souvenirs, chassant ainsi les mauvais.

D’ici là, prenons soin des personnes!

La mort d’Yvon Ricard est regrettabl­e et elle deviendrai­t inutile, si elle ne sert pas d’alarme et d’invitation aux autorités d’être plus attentives à l’état des personnes

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