Le Journal de Montreal

Pow, pow, souris, t’es mort !

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

Vous savez ce qui me trouble le plus dans le meurtre en direct de mercredi en Virginie? C’est que le tueur a attendu que la caméra de télévision soit bien face à sa victime avant de tirer.

Comme un réalisateu­r de film violent, il s’est assuré que les coups de feu et les cris aient un maximum d’impact sur son «public». Deux secondes avant, la caméra était braquée sur un bâtiment et, s’il s’était mis à tirer, il aurait perdu son effet d’horreur. Alors il a patiemment attendu que le caméraman pivote sa caméra vers la blonde reporter et c’est à ce moment qu’il a ouvert le feu.

En 2015, il ne suffit plus de tuer. Il n’est même pas suffisant de tuer en direct. Il faut aussi que tu mettes la mort en scène, comme si c’était un film ou un jeu vidéo hyperréali­ste.

DES VIES FAUCHÉES EN DIRECT

La deuxième chose qui me choque le plus, c’est que le tueur ait pris le temps, alors qu’il était en cavale, de publier sur Twitter et Facebook la vidéo de son meurtre. Quoi, il a manqué de temps, sinon il aurait aussi pris une photo sur Instagram, une autre sur Flickr, mis un extrait sur Vine, diffusé en direct sur Periscope, envoyé son CV de tueur sur LinkedIn, mis son arme en vente sur Kijiji?

Le gars est poursuivi par la police, il est l’objet d’une chasse à l’homme gigantesqu­e et il prend quand même le temps de prendre une petite pause pour diffuser son message sur les médias sociaux! Si ce n’est pas symptomati­que de l’époque de fou dans laquelle on vit, je me demande bien ce que c’est.

Un peu plus et il aurait pris un selfie devant le corps ensanglant­é de ses victimes… J’imagine qu’il avait oublié son

selfie stick à la maison. Remarquez que ce n’était qu’une question de temps avant que ce genre d’événement se produise. Aujourd’hui, tout le monde et son voisin documenten­t leurs moindres actions. Tu manges un brownie au bacon dans un café hipster, tu le photograph­ies. Tu vas au spectacle de danse de ta fille, tu l’écris à tes 15 000 abonnés. Tu as un ongle incarné, tu en informes tes amis Facebook.

Alors, si tu tiens la planète informée du moindre détail insignifia­nt de ton existence, imagine comment tu te comportes quand tu fais quelque chose qui sort réellement de l’ordinaire, comme tuer deux anciens collègues!

N’AJUSTEZ PAS VOTRE APPAREIL

Hier, j’ai abordé ce sujet dans ma chronique hebdomadai­re avec Dominic Maurais à CHOI, à Québec, et l’animateur m’a dit: «J’ai peur de répondre à ma propre question:

What’s next?»

Je comprends les craintes de Dominic. On frémit en pensant à la prochaine frontière de l’horreur. À quoi cela ressembler­a?

Je pense que ce n’est qu’une question de mois avant qu’un homme d’affaires flairant les bonnes occasions ne mette sur le marché un fusil avec caméra intégrée. Après le selfie

stick, le selfie gun. À quand le premier meurtre en série retransmis en direct de la pointe d’un fusil?

Il n’est même pas suffisant de tuer en direct. Il faut aussi que tu mettes la mort en scène, comme si c’était un film ou un jeu vidéo.

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