Le «boucémissaire» du printemps 2012
Dans son ouvrage, la policière Stéfanie Trudeau critique vertement la police de Montréal qui l’a «abandonnée»
L’agente au matricule 728 en a gros sur le coeur contre la police de Montréal. Stéfanie Trudeau accuse son employeur de l’avoir «sacrifiée sur la place publique» et d’en avoir injustement fait «le bouc émissaire» du printemps érable de 2012, dont elle qualifie la gestion de «fiasco monumental».
La femme de 43 ans est sortie de son mutisme en étalant sa version des faits dans son livre Matricule 728 – servir et
se faire salir: mon histoire, qu’elle a coécrit sur l’île de Saint-Martin, dans les Caraïbes, «pour panser [ses] plaies».
« J’AGIRAIS DE LA MÊME MANIÈRE »
La policière Trudeau, qui confie être passée «à un cheveu» de mettre fin à ses jours, poivre sans ménagement l’étatmajor du SPVM pour l’avoir «abandonnée» sans prendre sa défense à la suite de deux interventions controversées.
Il y a d’abord eu celle du 20 mai 2012. En pleine émeute de la crise étudiante au centre-ville de Montréal, elle a aspergé de poivre de Cayenne des manifestants qu’elle jugeait dangereux. L’incident a fait le tour du monde sur internet et dans les médias.
Elle dit ne rien regretter de ses gestes. «J’agirais exactement de la même manière», écrit-elle, convaincue d’avoir bien réagi dans ce climat de «zone de guerre».
Se sentant «trahie», elle affirme que les policiers, lors de ce printemps de 600 manifestations, étaient «dépassés par les événements».
«On était en nombre insuffisant. On était mal équipés, peu formés en matière de gestion de foule et encore moins organisés pour combattre et réprimer des émeutes comme l’exigent les lois qui régissent notre pays.»
Selon elle, les autorités policières et politiques ont «sciemment continué de nourrir la perception» qu’elle avait commis une bavure pour éviter d’admettre leur impuissance à maintenir l’ordre durant cette crise.
L’autre événement est survenu le 2 octobre 2012, lors de l’arrestation d’un homme qui consommait une bière dans la rue Papineau, sur le Plateau-MontRoyal. La policière avait utilisé une prise d’encolure pour maîtriser un ami du suspect qui refusait d’obtempérer à ses ordres. La scène a également été filmée et diffusée publiquement.
« OST... DE CARRÉS ROUGES »
De plus, une conversation entre «Matricule 728» et sa conjointe policière, tout juste après l’intervention – elle y traitait les suspects de «gratteux de guitare», «d’ostie de carrés rouges» et de «mangeux de marde» –, a aussi été enregistrée et diffusée dans les médias. Le chef Marc Parent avait alors publiquement condamné sa conduite «intolérable».
Stéfanie Trudeau s’excuse dans son livre pour ses «propos disgracieux», mais ajoute que le public n’aurait «jamais dû être témoin de cette conversation privée». Elle écorche également les médias pour leur «désinformation» et leur «sensationnalisme» à son endroit.
La policière a été accusée de voies de fait à la suite de cette intervention. De plus, les accusations portées contre les personnes qu’elle avait arrêtées ce soir-là ont été abandonnées. Une «trahison» du système judiciaire qui l’a «sidérée» et lui donne encore «envie de vomir», dit-elle.
« GARÇON MANQUÉ »
Le SPVM l’a suspendue et désarmée, mais continue de lui verser son salaire en attendant l’issue de son procès, prévu en juin 2016.
Celle dont le père fut chef de police à Saint-Hubert retrace dans le livre son parcours au SPVM et son enfance de «garçon manqué» qui se battait dans la cour d’école pour se défendre des railleries de ses camarades de classe.
Elle y aborde aussi son homosexualité et sa relation conjugale avec une collègue policière – le couple a deux enfants – sans qui elle n’aurait pas survécu à ce «calvaire» et à ce «lynchage public», selon ses dires.