Le Journal de Montreal

« Ma mère, Aline Samson, s’est fait tirer à bout portant »

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Après son départ, la vie est-elle devenue plus paisible ?

Oui, mais ça n’a pas duré. Après son divorce, ma mère fréquentai­t Lauréat Daigle, notre voisin à Plessisvil­le. Une relation qui a duré quelques mois. Encore une fois, elle a été victime d’abus de la part d’un homme possessif et jaloux. Elle a donc décidé de rompre. Une nuit, alors qu’elle rentrait, Lauréat Daigle, caché derrière un arbre, lui a tiré dessus et elle est morte sur le coup. Ma mère s’est fait littéralem­ent arracher le ventre. Le coup de feu nous a tous réveillés. C’est mon frère Gilles qui, en sortant le premier, l’a trouvée dans une mare de sang. Il s’est approché et quand il a voulu la prendre, son bras est passé à travers la plaie ouverte.

Qu’est-il advenu de Lauréat Daigle ?

Il s’est réfugié dans son chalet pour se tuer, mais il s’est manqué et s’est arraché la moitié du visage. Il a passé plusieurs mois à l’hôpital et a été condamné à huit ans de prison. Il est décédé en novembre dernier. Cet homme n’a jamais cru bon de s’excuser. Mais pendant des années, mes frères et moi recevions chacun 20 $ à Noël. Ma grand-mère nous disait que l’argent provenait d’un vieil oncle, mais j’ai compris plus tard de qui ça provenait.

En perdant à 11 ans votre mère d’une façon horrible, comment vous sentiez-vous ?

Ma vie était complèteme­nt chamboulée. J’avais de la misère à m’exprimer et je mettais toute mon énergie à m’adapter. Je me faisais trimbaler d’une famille à l’autre. Je me retrouvais seul à vivre chez mon oncle et sa femme, à Val-Bélair (maintenant Québec), puis à Inverness un peu plus tard. Je souffrais de ne plus avoir ma mère, mes amis, mes frères. Un peu avant, à l’âge de 16 ans, j’avais acheté un premier terrain. Puis j’ai acheté ma première maison à 17 ans, motivé par l’idée de ne plus jamais souffrir de ne pas avoir un toit sur la tête. À 17 ans, j’ai quitté la maison pour le cégep.

Les drames que vous avez vécus sont épouvantab­les. Comment en êtes-vous arrivé à rebondir après tous ces malheurs ?

Les premières années ont été difficiles, mais à l’école, je faisais partie du groupe de douance. Depuis des années, tant à la maison que chez mon oncle, j’avais l’impression de ne pas exister. J’ai alors ressenti le besoin de me surpasser dans les sports, dans mes études. Jamais je n’ai sombré dans la drogue. Je vivais sur une terre agricole, et je me passionnai­s pour les petits animaux de bassecour. Pour trouver un sens à toutes ces souffrance­s que j’avais traversées, je me réfugiais dans la lecture. Je lisais des livres spirituels, des biographie­s, dont

Au nom de tous les miens de Martin Gray. Je me suis accroché à cette histoire en me disant qu’il y avait bien pire que moi. Quand on se compare, on se console…

Réalisez-vous que bien d’autres auraient sombré à votre place ?

J’ai une cicatrice profonde et je serai toute ma vie comme un amputé avec une prothèse, mais ça ne m’a jamais empêché de fonctionne­r. Aujourd’hui, quand j’ai une mauvaise nouvelle, une transactio­n qui n’a pas marché par exemple, je ne me décourage jamais et je reste dans l’action. Il n’y a rien de pire que d’être assis sur ses lauriers et se morfondre. Et même jeune, j’ai appliqué cette philosophi­e. Ce qui ne veut pas dire que je n’ai pas pensé au suicide, adolescent. C’est seulement depuis 10 ou 12 ans que je peux parler de tout cela sans verser de larmes. Je m’en suis remis grâce à des thérapies et à certaines personnes croisées sur

mon chemin.

Qu’est-ce qui vous a fait le plus souffrir ?

Le rejet constant. Même si à 9 ans, j’étais content de me débarrasse­r de mon père, j’ai beaucoup souffert du fait qu’il n’ait jamais tenté de me joindre. Même chose quand ma mère a été tuée par cet homme à qui je m’étais attaché. Je me suis aussi senti rejeté par certains membres de ma famille au moment où j’avais tellement besoin d’eux.

Et avec le recul, croyez-vous que toutes ces difficulté­s aient forgé votre personnali­té ?

Nous avons tous entendu l’expression «ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort». Je crois qu’au-delà de la sagesse de cet adage, il y a là une grande part de vérité. Car la force d’entreprend­re et de faire face à la vie qui m’habite s’est accentuée avec ces malheurs. J’ai développé une endurance face aux difficulté­s. Aujourd’hui, j’ai toujours la conviction que je pourrai réussir, puisque j’ai vu et vécu des épreuves inqualifia­bles plus jeune, à une période de la vie où nous sommes vulnérable­s, et malgré tout, je suis là, vivant et heureux.

Croyez-vous que nous ayons tous la force de rebondir après de si grandes épreuves ?

Quand on est au coeur de la tourmente, ensevelis sous le poids des épreuves, il est normal de douter qu’on ait la force de passer au travers et même d’y survivre. Le doute accompagne­ra toujours les défis de la vie. En pleine tempête, on ne peut voir très loin devant soi. Face à l’épreuve, conserver la foi en soi et faire confiance à la vie est un immense défi. C’est vrai que l’espoir nourrit. Pour ma part, j’ai foi en la résilience de l’être humain. Chacun de nous a une pulsion de vie dans laquelle il est toujours possible de puiser pour continuer à avancer, malgré tout.

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