Ces enfants qu’on ne peut pas se payer
Nos enfants ont commencé l’école. Un peu d’anxiété habite les tout-petits et la colère gronde chez les parents. D’abord à cause des coûts de la rentrée: facilement entre 300 et 400 dollars par enfant! Une honte. Quand une amie, mère de deux enfants au primaire, m’a parlé des fournitures scolaires obligatoires – une liste d’une précision chirurgicale –, j’ai avalé mon café de travers! En plus des crayons à mine, des surligneurs multicolores, de la trousse tendance, il faut acheter les cahiers d’exercices et renouveler le sac à dos devenu trop petit pour les immenses cartables de nos enfants. Elle doit même fournir une boîte de Kleenex!
La liste s’allonge et la facture augmente chaque année. Gratuite, l’école primaire et secondaire? De moins en moins. Les ministres de l’Éducation coupent les budgets des commissions scolaires qui, à leur tour, donnent moins d’argent aux écoles. Sans compter les coupes récentes dans les services de garde scolaire qui obligeront les parents à payer le prix fort pour les journées pédagogiques. Les parents, toujours eux. Les familles paient des taxes déguisées dont les gouvernements ne parlent jamais.
Il y a pire encore. Parents et enfants remarqueront bientôt l’empreinte des compressions du ministre Blais. Le dernier budget libéral a choisi d’infliger au milieu scolaire les pires compressions en 20 ans, soit un manque à gagner, pour cette année seulement, de 350 millions de dollars.
Malgré la volte-face d’Yves Bolduc sur l’achat de livres, on peut douter que les rayons des bibliothèques soient vraiment bien garnis. L’aide aux devoirs, l’aide alimentaire aux enfants défavorisés, le transport scolaire et certains programmes d’aide aux immigrantes et aux immigrants vont vivre des coupes majeures.
Après des décennies de progrès dans le soutien aux élèves en difficulté, de nombreux postes d’éducateurs spécialisés, de techniciens en éducation spécialisée et de préposés aux enfants handicapés disparaîtront. C’est sans parler des orthopédagogues et des conseillers pédagogiques. Malgré toute la bonne volonté du personnel, certains élèves plus vulnérables vont échapper aux mailles du filet à un moment crucial de leur parcours scolaire.
Le ministre Blais affirmait le printemps dernier que les services aux élèves ne seraient pas touchés par les coupes budgétaires. Il nous a menti. Cet automne, l’austérité libérale va frapper de plein fouet ceux et celles qui portent à bout de bras notre système d’éducation et que nous devrions remercier chaque jour: le corps enseignant et les autres membres du personnel scolaire.
De grâce, M. Blais, prenez votre rôle au sérieux. Vous n’êtes pas qu’un chargé de mission pour l’austérité libérale. Avez-vous l’avenir de nos enfants à coeur? De tous nos enfants, y compris celles et ceux qui sont plus fragiles. L’éducation est un droit. Point. En plus, elle n’est pas une dépense, mais un investissement.
Ceux et celles qui bâtiront le Québec de demain méritent mieux. Ce mardi 1er septembre, je serai parmi les parents, les enfants et les professeurs qui clameront bien fort dans des dizaines de chaînes humaines, tôt le matin, autour des écoles: je protège mon école publique!
Mise à mort de la culture
On ne peut que sursauter devant l’ironie des propos du président de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay.
M. Tremblay affirme que la mission des cégeps est en danger en raison des coupes budgétaires. M. Tremblay donne l’impression de s’inquiéter des cégeps. Il se contente de souligner que les coupes nuisent à l’efficacité pour que se termine l’arrimage des cégeps au marché. Or, c’est précisément ce désir de réduire l’éducation à de la formation, inscrit dans le projet d’école du 21e siècle du gouvernement Couillard, qui met en péril la mission des cégeps. Ce désir est aussi celui de la Fédération, à preuve la remise en cause de l’épreuve de français que propose M. Tremblay dans Le Journal
de Montréal du 28 août 2015. Cette logique est exactement celle du rapport Demers que M. Tremblay encense et dont il réclame l’application: au nom de la rentabilité, on s’attaque à ce qui constitue le fondement même de notre culture, son véhicule essentiel, la langue.
En effet, le rapport Demers vise précisément à faire des cégeps l’antichambre du marché, un lieu de formation que nous payons, nous contribuables, et dont nous déchargeons d’autant les entreprises privées. Ce rapport fait l’objet d’une planification de mise en oeuvre actuellement, et M. Tremblay, qui feint de s’en inquiéter, le sait bien. Cette mise en oeuvre se fait en dehors de tout débat public, par un comité paraministériel dirigé par Mme Nicole Rouillier, situation que Mme Véronique Hivon avait dénoncée en janvier dernier.
On y propose notamment la mise à mort de la formation générale commune. Quelle est, ou était, la mission des cégeps, que M. Tremblay se garde bien de mentionner? Elle visait un objectif magnifique, qui consistait à concilier la formation technique et professionnelle avec l’accès à une culture qui, jusque-là, était réservée à une petite élite économique.
Les réformes que propose le rapport Demers ont pour conséquences de gommer presque totalement le second aspect de cette mission, laissant ce qui relève de la culture aux collèges privés où les enfants des privilégiés de notre société pourront poursuivre leurs études en toute quiétude et réduisant le reste de la population à de la main-d’oeuvre en devenir…
Les cégeps visaient à augmenter la mobilité sociale, on vise maintenant à l’abolir, tout simplement.
Hugues Bonenfant, Amélie Hébert, Éric Martin, Sébastien Mussi, Annie Thériault, professeur(e)s de philosophie, membres de l’exécutif de la Nouvelle alliance pour la philosophie au collège