Le Journal de Montreal

On ne peut pas tout avoir

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Je crois encore que la littératur­e, que les romans peuvent expliquer le monde et le réenchante­r. Je crois encore que les romans, la littératur­e cherchent à tâtons la formule magique qui nous fera comprendre au détour d’une phrase la somme de nos erreurs et l’infinie beauté de nos existences, et que leur lecture nous changera en profondeur.

Je crois toujours que les romans, la littératur­e remplissen­t cette fonction qu’avaient les contes de nous avertir des dangers qui nous guettent, des pièges de l’âme et du monde.

Je crois encore et toujours que les romans et la littératur­e mettent en mots et en phrases intelligib­les pour tous les sentiments confus qui nous habitent, et qu’en les lisant on se «reconnaît» soudain, et que soudain on se sent moins seul.

Je crois aussi, mais c’est plus récent, que le monde est en danger, et que les menaces sont à ce point nombreuses que la science-fiction est l’un des rares genres efficaces pour les saisir en deux couverture­s. Tout ça pour dire que je me suis lancé dans

Oscar de Profundis, de Catherine Mavrikakis, avec beaucoup de plaisir anticipé. C’est un roman de «science-fiction», disons, qui met en scène un Montréal de l’avenir, avec pour personnage central un musicien mondialeme­nt connu, de retour pour deux concerts dans sa ville natale, qu’il déteste.

Il y a une sorte de maladie qui s’attaque aux exclus, aux pauvres, aux laissés-pour-compte. Il y a un «éloignemen­t des planètes» que les «hommes de science» n’arrivent pas à expliquer. Il y a un «gouverneme­nt mondial» qui, j’imagine, gouverne le monde. Il y a la souveraine de la rue, Cate Bérubé, et sa bande d’exclus, qui tentent de préserver à la fois leur existence et le fait français en Amérique du Nord.

RICHE EN CLICHÉS

Mais il y a surtout, surtout, un grand flou du récit qu’une avalanche d’adjectifs qualificat­ifs achève d’étouffer. Il y a des clichés de science-fiction à la pelle, que l’auteure ne semble pas considérer comme tels, peut-être parce qu’elle ne les connaît pas, peut-être parce qu’elle s’en fout.

Il y a de telles approximat­ions dans l’univers du récit qu’il est impossible de croire une seule seconde à ce monde qu’elle nous présente.

C’est dommage. J’aurais voulu aimer. J’aime l’auteure. J’aime sa fougue. J’aime sa rage.

Mais la rage, quand elle est attribuée à un narrateur omniscient, teint la moindre phrase d’un noir si noir qu’il pousse au rire, comme la chevelure d’ébène qu’un vieillard s’obstinerai­t à teindre en pensant que ça ne se voit pas. Ainsi se décrit l’automne, dans Oscar de

Profundis: «Les érables à sucre, les hêtres à grandes feuilles, les tilleuls, les bouleaux lançaient un cri sinistre tandis que le vent leur arrachait leur dernier bien. Les écorces semblaient crépiter de douleur et la sève se retirait sèchement des troncs.»

Le récit est mince, mais l’écriture le surcharge de ténèbres, de cadavres, de douleur et de désespoir. S’il n’y avait pas eu de nom d’auteur sur la couverture, j’aurais juré que c’était écrit par un adolescent talentueux, mais brouillon.

La rage serait-elle une fontaine de jouvence?

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