Les Témoins de Jéhovah et le sang
Après le déluge, Dieu aurait demandé à Noé de ne pas manger le sang des animaux, avancent les Témoins de Jéhovah. Le liquide vital est considéré comme sacré et il leur est interdit de l’absorber par la bouche... ou par les veines.
Pour bien s’assurer de ne pas en recevoir, même s’il perd connaissance, chaque témoin de Jéhovah possède une carte d’identité spéciale destinée à être gardée sur soi.
«Pas de sang», peut-on lire au-dessus d’un dessin d’une poche de sang barrée d’un trait. «Je demande qu’on ne m’administre pas de transfusion sanguine [...] quelles que soient les circonstances, même si les médecins le jugent nécessaire pour protéger ma vie.»
La question du refus de transfusion a attiré l’attention du Québec après la mort d’une témoin de 27 ans, Éloïse Dupuis, à l’hôpital de Lévis le 12 octobre.
La jeune mère aurait confirmé ne pas vouloir de transfusion, une consigne que les médecins doivent respecter. Même si elle avait été in- consciente ou inapte à communiquer, l’hôpital doit se plier à son souhait, inscrit sur sa carte de refus de sang.
Jonathan Lavoie, ancien témoin, raconte que la réception de la carte est un moment marquant.
«On s’assure que tout le monde soit là quand on reçoit les nouvelles cartes. Elles sont distribuées à la Salle du Royaume et elles doivent être signées sur place, devant deux témoins forts spirituellement.»
Il n’a jamais vu quelqu’un se soustraire à la procédure. Un tel affront vaudrait d’être traduit devant un «comité judiciaire» formé d’anciens de la communauté.
«C’est carrément un tribunal. Ils vont écouter les raisons de la transgression et émettre un jugement. Ils peuvent conclure que la personne s’est dissociée du mouvement, ce qui revient au même que l’excommunication», atteste Jonathan Lavoie, qui a quitté les Témoins de Jéhovah à 17 ans, en 1991.
Des tribunaux ont déjà tranché que la consigne précisée par la carte doit légalement être suivie par les médecins si le patient n’est pas en mesure d’exprimer autrement son consentement.
Il est déjà arrivé que des patients poursuivent le médecin qui les avait sauvés grâce à des transfusions de sang (voir autres causes).
Seule exception: les enfants.
Même si les mineurs de plus de 14 ans ont certains droits en matière de refus de traitements médicaux, les personnes de moins de 18 ans peuvent se faire imposer par le tribunal des actes essentiels à la vie, comme des transfusions de sang, précise Robert Kouri, professeur de droit et politiques de la santé à l’Université de Sherbrooke.
consentement éclairé
La carte n’est toutefois d’aucune utilité si le patient est conscient et apte à exprimer, ou non, son consentement une fois à l’hôpital.
Le ministre de la Santé du Québec, Gaétan Barrette, assure que les médecins qui ont traité Éloïse Dupuis ont vérifié son consentement pendant et après son accouchement.
Quant à savoir si son consentement était éclairé, certaines de ses amies en doutent. «On s’est senties en colère de savoir que le remède était là, à côté, depuis cinq jours», raconte son amie Sabrina Zélézen.
Avec ses deux soeurs, elle a fait le chemin de Joliette à Lévis le 12 octobre au soir, pour se faire dire qu’aucun non-témoin de Jéhovah n’était admis dans la chambre.
Coincées dans le couloir, elles n’ont jamais pu voir leur amie avant son décès, vers 22 h 40.