Le Journal de Montreal

Nobel et bum

Je lisais l’autobiogra­phie de Bruce Springstee­n (bof) quand la nouvelle est tombée: Bob Dylan remporte le Nobel 2016 de littératur­e. Quoi, Dylan? Aussiôt, les réseaux s’enflamment: «La chanson n’est pas de la littératur­e», disent les uns. «Et pourquoi pas

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Bien sûr que la chanson n’est pas de la littératur­e. Évidemment qu’il y a d’énormes différence­s entre un roman et une chanson, aussi grandiose soit-elle. Mais peut-être faut-il rappeler qu’il existe une sorte de continuum entre les oeuvres et les discipline­s? Peut-être faut-il laisser les définition­s trop strictes aux fonctionna­ires?

DEVENIR ÉCRIVAIN EN... ÉCOUTANT

Certes, c’est en lisant qu’on devient écrivain, mais c’est aussi en écoutant Ferré, Cohen, Dylan. Quand j’avais 15 ans, j’écoutais Simon and Garfunkel en boucle, et America reste pour moi un road novel exceptionn­el.

J’ai découvert Aragon par Ferré et, comme tout le monde, j’aime Cohen d’amour. Cohen est-il plus écrivain que Dylan parce qu’il était d’abord poète? Mais c’est parce qu’il n’était pas lu qu’il s’est mis à chanter ses textes. Cohen serait-il Cohen s’il ne s’était pas servi de sa voix pour propulser ses textes?

On ne donne pas un prix à un format, à une enveloppe en carton, mais au pouvoir d’évocation d’une oeuvre. C’est subjectif? Oui. Évidemment que c’est subjectif, comme les Prix du Gouverneur général et tous les autres. En récompense­r un, c’est en négliger d’autres, tout aussi méritants. C’est la nature même des prix. Revenez-en.

Et puis, avouez, c’est amusant qu’un prix donné au nom d’Alfred Nobel, inventeur de la dynamite et fabricant d’armes, fasse l’effet d’une bombe dans le milieu littéraire!

LA MÉTAMORPHO­SE

De toute manière, la littératur­e telle qu’on la connaît n’a pas toujours existé, et n’existera peutêtre pas toujours. Le livre imprimé a 500 ans. C’est vénérable. Mais c’est peut-être juste vieux, quand on constate que le taux de lecture piétine dans la population.

Le monde change, et les technologi­es s’emballent. Le livre traditionn­el est appelé à changer lui aussi, même s’il a encore de beaux jours devant lui. Qui sait ce que l’avenir lui réserve?

Ce qu’on sait, par contre, c’est que plus de la moitié de la population du Québec est analphabèt­e (53 %), et ne réussit pas à lire au complet (et à comprendre) un simple article de journal.

Nobel ou pas, Dylan, comme tous les artistes, fait partie de la Résistance. Il s’est battu toute sa vie pour «exprimer» des idées, des émotions. Il s’est fait huer par ses fans lorsqu’il a électrifié sa guitare. Pour plusieurs, c’était trahir le folk.

Les écrivains, les chanteurs, les artistes, pourvu qu’ils ne cherchent pas avant tout à plaire à la masse, sont des résistants. Ils se servent des mots? Ils sont littéraire­s. Des résistants littéraire­s.

Ils connaissen­t du succès? Tant mieux pour eux. Mais ce n’est pas une raison pour les désavouer. Le succès populaire n’est pas nécessaire­ment un signe de mauvaise qualité.

Tout comme l’obscurité et la confidenti­alité ne sont pas nécessaire­ment des signes de qualité.

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