Le Journal de Montreal

La grande évasion

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Après ses amusants guides parentaux et ses captivants carnets de voyage, l’auteur originaire de Charlesbou­rg Guy Delisle nous revient avec un extraordin­aire récit de captivité.

Christophe André oeuvrait, en guise de premier boulot dans l’humanitair­e, à titre de responsabl­e des finances et de l’administra­tion d’une ONG médicale basée en Tchétchéni­e. À peine trois mois après son arrivée, l’homme se fait enlever. Il passera quatre mois enchaîné à un radiateur, à attendre que l’occasion inespérée de fuir se présente. C’est cette histoire que raconte Delisle dans son phénoménal S’enfuir.

Il y a longtemps que l’auteur y travaillai­t. Déjà, il en était question dans son premier carnet de voyage, Shenzhen, publié en 2000. «J’avais lu son histoire dans les journaux à l’époque. Peu de temps après, nous nous sommes rencontrés par le biais de ma femme, qui bossait elle aussi dans l’humanitair­e. Je lui ai proposé de raconter le récit de sa captivité», raconte Delisle.

Il produit rapidement une première version d’une dizaine de pages. Non content, il abandonne. «J’avais tenté, à tort, d’aborder le tout à la manière d’un film d’action. Ça ne prenait pas du tout. À la lecture de l’ouvrage Truffeau

Hitchcock, j’ai compris la nécessité de coller au récit, de construire un bon thriller et de poser la question fondamenta­le: comment peuton tenir du point de vue psychologi­que?»

La troisième tentative, amorcée il y a deux ans, sera la bonne. «Ça traînait depuis trop longtemps. Après 15 ans, il fallait que je le fasse.»

Christophe André sera son premier lecteur. Amateur de bande dessinée, il se livre facilement à Delisle. Ils deviendron­t d’ailleurs vite copains.

JE EST UN AUTRE

L’auteur qui nous avait habitués à se mettre en scène dans ses bandes s’efface l’instant de S’enfuir. «Au début, j’en faisais une montagne de faire parler quelqu’un d’autre. Je voyais mal comment aborder la première personne du singulier par un autre personnage que le mien. Et puis, ça a débloqué», se remémore Delisle. «Je me suis imaginé à sa place me poser cette question fondamenta­le: dois-je reprendre ma liberté? Ça m’a porté.»

S’enfuir est soutenu par un souffle rare. Sur plus de 400 pages, Delisle raconte le quotidien de cet homme enchaîné à un radiateur. Grand maître du découpage, l’artiste nous tient en haleine page après page, rendant d’ailleurs impossible l’idée d’abandonner la lecture une fois plongé dans ce cauchemar.

Les jours s’enchaînent, défilant à un rythme hypnotisan­t, l’espoir fluctue, notre coeur s’emballe, toujours dans l’attente de la liberté.

Lauréat du prix du meilleur album du Festival d’Angoulême de 2012 pour Chroniques de Jérusalem, l’auteur chouchou nous offre bien plus que l’album de 2016.

C’est un chef-d’oeuvre qu’il nous livre.

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S’enfuir Guy Delisle, Ed. Dargaud L’auteur sera présent au prochain Salon du livre de Montréal

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