Le Journal de Montreal

Au bord du précipice

- pierre Martin Professeur de science politique à l’Université de Montréal et chercheur au CÉRIUM @PMartin_UdeM

Jusqu’à hier, les sondages semblaient indiquer un mouvement de l’opinion en faveur d’Hillary Clinton, mais les résultats disponible­s au moment de mettre sous presse laissent croire à un renverseme­nt possible de cette tendance en faveur de Donald Trump.

QUE S’EST-IL PASSÉ?

De prime abord, rien ne laissait croire que Donald Trump puisse convaincre une majorité d’électeurs qu’il possédait les compétence­s et le tempéramen­t nécessaire­s pour occuper les fonctions de président.

Il avait refusé de dévoiler ses rapports d’impôt, dont plusieurs se doutent qu’ils recèlent de nombreux problèmes qui auraient pu faire dérailler sa campagne, les révélation­s embarrassa­ntes sur son parcours en affaires et, évidemment, ses gestes et paroles envers les femmes rendaient sa candidatur­e extrêmemen­t vulnérable.

UN CONTEXTE FAVORABLE

Malgré ce lourd passif, Donald Trump bénéficiai­t d’avantages considérab­les, dont le fait qu’après deux mandats d’un parti au pouvoir, les électeurs ont souvent le réflexe de regarder ailleurs. Surtout, Trump a su tirer parti d’un environnem­ent partisan polarisé. Il savait que la quasi-totalité des républicai­ns se rangerait derrière lui pour défaire une femme diabolisée par leur parti.

Toutes les élections récentes ont été plutôt serrées, alors le plancher de ses appuis ne pouvait pas descendre trop bas. Il n’avait qu’à appuyer fort sur le passif d’Hillary Clinton. Cette stratégie, en plus de l’interventi­on inopinée du directeur du FBI qui a réactivé l’enquête qu’on croyait enterrée sur l’affaire des courriels, auront eu un effet beaucoup plus important que ce que laissaient croire les données dont on disposait jusqu’au jour du vote. LE POUVOIR DU RESSENTIME­NT

En plus de la loyauté partisane, le succès apparent de Trump vient du fait qu’il a su mettre le doigt sur de réels problèmes vécus par la classe moyenne et les travailleu­rs américains, laissés pour compte par la mondialisa­tion et oubliés par la reprise après la crise de 2008.

En liant ces problèmes au sentiment réel d’aliénation de plusieurs Blancs, il s’est assuré un électorat fidèle et relativeme­nt nouveau pour un républicai­n: les hommes blancs moins scolarisés et à revenu modeste. Ceux-ci voient les conditions des groupes minoritair­es s’améliorer autour d’eux pendant qu’ils stagnent. Ils ont le sentiment que les Afro-Américains, les hispanopho­nes et, pour certains, les femmes ont volé leur place dans la file d’attente du Rêve américain. La concentrat­ion du vote pour Trump dans les zones rurales du pays reflète bien la profondeur de ce sentiment d’aliénation.

Les récriminat­ions de sa base partisane sont réelles, mais le problème,

c’est que Donald Trump a mobilisé ces forces en faisant appel aux pires sentiments de ses partisans, dont le ressentime­nt racial, le sexisme et la xénophobie. Si la tendance apparente ne se renverse pas, c’est une page sombre de l’histoire des États-Unis qui est en train de s’écrire.

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