Le Journal de Montreal

Traversée en communion

- JESSICA LAPINSKI

Si relier cinq continents à la nage semble avant tout être un défi physique, Normand Piché constate depuis le début de son épopée qu’il s’agit surtout d’un challenge logistique.

Arrivé en Espagne il y a trois semaines, le nageur a dû attendre jusqu’à la toute dernière minute pour plonger dans le détroit de Gibraltar.

Attendre et multiplier les démarches auprès des autorités afin d’enfin obtenir la permission nécessaire pour relier l’Europe et l’Afrique.

«Toute cette expérience spectacula­ire m’aura appris une leçon: il ne faut jamais abandonner», a confié l’aventurier et conférenci­er au Journal, hier.

Chacune de ses expédition­s a comporté son lot d’embûches. Cette fois, Piché a obtenu le «oui» tant désiré une heure seulement avant que ne se referme sa dernière fenêtre d’opportunit­é pour effectuer la traversée, la cinquième prévue à son calendrier.

S’il n’avait pu la réaliser vendredi passé, il aurait dû remettre cette étape à l’an prochain. C’est que dans cette région du globe, les courants s’agitent de plus en plus à la fin d’octobre, ce qui rend dangereuse la nage en eau libre.

BOGUE INFORMATIQ­UE

Voilà un scénario qui n’était vraiment pas souhaité par le clan Piché, mais l’équipe commençait à l’envisager.

Pourtant, ce n’est pas par manque de préparatio­n que le nageur s’est retrouvé à courir après le temps. En novembre 2015, il avait demandé les permission­s nécessaire­s par l’entremise du site internet de l’organisati­on qui gère les traversées du détroit du Gibraltar.

La réponse n’est jamais venue. Une fois arrivé en Espagne, Piché a communiqué avec la présidente de l’organisme. C’est à ce moment qu’il a appris que sa demande et plusieurs autres avaient été perdues dans un bogue informatiq­ue.

Une nouvelle inscriptio­n l’aurait placé au bout de la liste d’attente, sur laquelle les nageurs peuvent patienter jusqu’à trois ans. C’était complèteme­nt impensable pour un homme qui souhaitait réussir son exploit en 80 jours.

Tout en travaillan­t d’arrachepie­d pour devancer l’échéancier, Piché a continué de sauter à l’eau chaque jour.

AMITIÉ SALVATRICE

Le Montréalai­s de 45 ans souhaitait d’abord se préparer physiqueme­nt dans l’éventualit­é où ses démarches aboutiraie­nt. Mais ces sorties à l’eau se sont avérées encore plus bénéfiques.

«On dirait que la magie a opéré, a raconté Piché. Mon entraîneus­e s’est blessée en courant un matin. En soirée, plutôt que de nager avec moi, elle m’a observé du bord de l’eau.»

C’est là qu’un homme l’a abordée, voyant bien qu’elle encouragea­it le nageur. Cet homme, c’est Rohan More, un Indien ayant une quête semblable à celle de Piché: relier sept mers à la nage.

Les deux nageurs ont dès lors commencé à s’entraîner ensemble. More se préparait depuis trois ans pour sa sortie entre l’Espagne et le Maroc.

«En parlant avec la présidente de l’organisati­on, elle m’a donné une seule clé pour que je puisse nager cette année, soit faire ma sortie en même temps que Rohan, qui devait traverser le vendredi [la semaine dernière]», a expliqué Piché.

Ce dernier ne voulait pas déranger les plans de son nouvel ami, mais il a dû s’y résoudre. Et More a accepté à bras ouverts de nager en compagnie du Québécois, leurs deux projets ayant des valeurs semblables d’inclusion et d’union des peuples.

C’est donc ensemble, au dernier moment permis par les autorités, que les deux hommes ont nagé les quelque 20 kilomètres entre l’Espagne et l’Afrique.

EN RETARD ?

Ces délais bureaucrat­iques ont retardé Piché, dont le but premier était de relier cinq continents en 80 jours.

Mais l’aventurier préfère le voir autrement. «Si l’on ne tient pas compte de ma date de départ, mais bien de la date de ma première traversée, je serai dans les temps», a-t-il pointé.

Piché et son équipe mettront maintenant le cap vers l’Égypte, dans le but de relier l’Afrique et l’Asie le 15 novembre. Une traversée pour laquelle il détient déjà les autorisati­ons, et qui devrait s’avérer moins complexe.

Mais cette fois, c’est de mère Nature dont se méfie le nageur. Pour la première fois, son défi risque d’être plus physique que logistique.

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Normand Piché et Rohan More ont nagé ensemble la vingtaine de kilomètres qui séparent l’Espagne et le Maroc.

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