Le Journal de Montreal

Quel dommage que Janine Sutto ait douté d’elle !

- Guy Fournier guy.fournier @quebecorme­dia.com

À l’été 2001, Janine Sutto jouait avec Roger Larue

Le mal de mère de Pierre-Olivier Scotto dans une mise en scène de Daniel Roussel, au Théâtre de la dame blanche du Parc de la Chute Montmorenc­y. J’avais promis à Janine et à Daniel d’aller voir la pièce un samedi et de les amener «bruncher» au Manoir Montmorenc­y, le lendemain.

Le dimanche midi, j’ai stationné la voiture boulevard des Chutes, à 200 mètres du manoir. Il a fallu une demi-heure pour les parcourir. Tous les passants croisés s’arrêtaient pour parler à Janine et lui dire leur affection. Encore une autre demi-heure avant de passer à table, tous les convives de la salle à manger tenant à lui parler.

Après le brunch, il a fallu une heure pour retourner à la voiture. Les badauds, qui s’étaient multipliés dans le parc, voulaient tous voir Janine. La reine Élizabeth elle-même n’aurait pas attiré plus de curieux.

UN GRAND SPECTACLE SOLO

Quelques années plus tard, j’étais encore sous le choc de l’extraordin­aire affection témoignée à Janine à Montmorenc­y. Après avoir vu à Paris le spectacle solo d’André Dussolier, j’ai dit à Daniel qu’il fallait à tout prix tous les deux concevoir pour Janine un spectacle solo.

Seule en scène, elle évoquerait son enfance, elle parlerait de son métier, de ses amours, raconterai­t des anecdotes et se livrerait sans retenue. Nous étions convaincus que les Québécoise­s d’aujourd’hui se retrouvera­ient aisément dans sa manière d’être, son audace et son indépendan­ce.

Par une belle journée d’été, profitant du jardin fleuri de la maison de François Barbeau, nous avons exposé notre projet à Janine. «Seule en scène à mon âge? Mais c’est un spectacle d’adieu que vous me proposez!» Nous avions pris soin de ne pas prononcer le mot, mais on ne passait pas de «p’tite vite» à Janine Sutto.

S’inquiétant de ses forces et de sa mémoire, s’interrogea­nt sur la pertinence du spectacle et son goût de faire ses adieux, elle s’enthousias­ma à mesure que nous lui précisions le projet. Janine est donc venue à plusieurs séances de travail, échelonnée­s sur quelques mois. Convaincre un producteur de se commettre fut la chose la plus facile du monde.

Les morceaux étaient presque tous en place, mais Janine continuait d’être tourmentée par son âge, par sa mémoire et par l’éventualit­é de ne pas être à la hauteur. Nous l’avons rassurée tant et plus, convaincus qu’un spectacle solo serait le plus beau cadeau qu’elle pourrait offrir au public.

UN RENDEZ-VOUS MANQUÉ

À l’automne 2006 (si mon souvenir est fidèle), Janine a finalement renoncé. Elle nous a avoué avec gravité qu’à 85 ans, elle ne se faisait plus assez confiance pour être seule en scène durant 50 représenta­tions et peut-être plus. La mort dans l’âme, nous avons cessé d’insister.

Heureuseme­nt, Janine a pu remonter sur scène en Olivine Dubuc dans le théâtre musical Les belles soeurs. Elle a même pu jouer une dernière fois à Paris, qu’elle avait quittée jeune écolière.

Mardi soir, Daniel et moi avons mangé ensemble. Nous nous sommes rappelés avec nostalgie les moments passés avec Janine durant un demi-siècle et, surtout, ce rendezvous manqué entre elle et le public qui l’aimait tant.

TÉLÉPENSÉE DU JOUR

Quand on a réussi sa vie, c’est sans doute plus facile de réussir sa mort.

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