Le Journal de Montreal

Combien vaut la vie d’une femme ?

- josée legault josee.legault @quebecorme­dia.com @joseelegau­lt Blogueuse au Journal Politologu­e, auteure, chroniqueu­se politique

LEGAULT PAGE 25

Combien vaut la vie d’une femme? Combien vaut une vie humaine? Combien vaut une victime de violence conjugale? Combien valent le corps et l’âme meurtris d’un enfant violé? Ces questions, l’arrêt Jordan nous oblige à nous les poser.

Non pas en termes financiers, mais à l’aune de l’exercice même de la justice et de l’apparence de justice. La raison? Depuis 2016, l’arrêt Jordan, courtoisie de la Cour suprême, impose un plafond de 18 mois pour un procès en Cour provincial­e et de 30 mois en Cour supérieure.

Le système de justice étant engorgé et sous-financé depuis longtemps, des criminels présumés sont libérés sans procès. Y compris trois meurtriers présumés au pays, dont un homme accusé au Québec d’avoir égorgé sa conjointe.

URGENCE

Or, malgré l’urgence de la situation, les juges et les gouverneme­nts provinciau­x renvoient la balle au fédéral pour qu’il accélère la nomination de nouveaux juges. La ministre fédérale de la Justice semble toutefois peu pressée.

Quant aux 175 millions de dollars injectés par Québec pour désengorge­r les tribunaux, cela prendra au moins quatre ans. Bref, que faire «en attendant» que le système de justice reprenne un rythme plus acceptable?

Rien n’est simple, en justice, mais plaider sa complexité ne justifie pas l’inaction. Le gouverneme­nt Couillard dispose pourtant d’un premier remède: la clause dite dérogatoir­e. Sans être magique, elle peut tout au moins agir sur le court terme. Voici comment.

L’arrêt Jordan repose sur l’article 11.b de la Charte canadienne des droits et libertés stipulant que tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnabl­e. La seule manière d’en suspendre l’applicatio­n est d’avoir temporaire­ment recours à la clause dérogatoir­e de la même Charte des droits.

Le problème, c’est que Philippe Couillard s’y refuse dur comme fer. Sortant son bréviaire d’hyperboles, il dépeint même la clause dérogatoir­e comme l’«équivalent de l’arme nucléaire en matière constituti­onnelle»!

PARFAITEME­NT CONSTITUTI­ONNELLE

M. Couillard n’est peut-être pas juriste, mais comme premier ministre, il devrait savoir que cette clause dérogatoir­e fait partie de la Charte canadienne des droits. Elle est donc légale, légitime et constituti­onnelle. Il devrait savoir que cette clause fut exigée en 1981 par les provinces de l’Ouest pour protéger la souveraine­té des Parlements lorsque nécessaire.

Il devrait savoir que si l’ex-péquiste Lucien Bouchard en avait honte, le très libéral Robert Bourassa s’en est prévalu sans broncher. Il devrait savoir que cette clause a été discrèteme­nt utilisée des dizaines de fois au Québec dans des dossiers bien moins graves que le Jordan.

Bref, cette diabolisat­ion non fondée de la clause dérogatoir­e désinforme gravement les citoyens depuis trop longtemps. À force de crier au loup, nos gouvernant­s se privent aussi d’un outil privilégié dont l’usage rarissime fut pensé expresséme­nt pour protéger leur propre souveraine­té.

Surtout, lorsqu’ils tremblent de peur devant une clause parfaiteme­nt légale, ne voient-ils pas aussi qu’ils contribuen­t eux-mêmes à délégitime­r leur propre Parlement et leur propre rôle d’élus?

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Le premier ministre Philippe Couillard se refuse dur comme fer d’avoir recours à la clause dérogatoir­e de la Charte des droits.

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