Le Journal de Montreal

L’heure est grave

- ANTOINE ROBITAILLE @Ant_Robitaille

ROBITAILLE PAGE 12

Comment éviter à court terme que d’autres meurtriers présumés, comme Sivalogana­than Thanabalas­ingam, échappent à leur procès? Le Parti québécois a proposé d’adopter rapidement une loi sur l’administra­tion de la justice, laquelle contiendra­it une dispositio­n de dérogation pour suspendre temporaire­ment, ici, le fameux arrêt Jordan qui a permis à l’accusé de faire annuler le procès.

Invoquer la «clause nonobstant», comme on l’appelait dans les années 1980 (selon un anglicisme à éviter), était une bonne idée. Dommage – mais peu surprenant – que Philippe Couillard l’ait rejetée d’emblée.

CONTREPOID­S ESSENTIEL

La «dispositio­n» en question est une sorte d’antidote offert aux parlements, face aux interpréta­tions de la cour. Un droit de veto des législateu­rs élus sur les décisions des juges non élus.

En 1981, lorsque la Constituti­on a été réécrite (sans l’accord du Québec), les provinces de l’Ouest avaient insisté pour qu’on y insère une telle dispositio­n. Celle-ci donne un rapport de force aux parlements par rapport aux juges. Le principe des contre-pouvoirs étant essentiel en démocratie libérale.

UNE COUR DIVISÉE

Or, l’arrêt «Jordan», tombé au mois de juillet 2016, propose une interpréta­tion nouvelle du droit à avoir un procès dans un «délai raisonnabl­e».

Une interpréta­tion discutable qui était loin de faire l’unanimité au sein des neuf juges de la cour. Quatre d’entre eux étaient même faroucheme­nt opposés à fixer des «plafonds numériques», limites de temps au-delà desquelles un accusé pouvait réclamer l’«arrêt des procédures», soit la fin du procès.

Les quatre juges dissidents entrevoyai­ent précisémen­t ce qui est en train de se produire: une cascade d’annulation­s de procès. Le Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP) a lui-même abandonné des centaines de causes auxquelles policiers, procureurs et autres avaient pourtant consacré des milliers d’heures.

Le Québec, qui, selon la Constituti­on, doit administre­r la justice, pourrait bien se servir de la dispositio­n de dérogation. Puisque le droit criminel est fédéral, les provinces pourraient demander que les deux paliers de gouverneme­nt harmonisen­t leur action.

Philippe Couillard refuse. Il estime que la dérogation, c’est «l’arme nucléaire constituti­onnelle». Il doit être friand de cette arme puisque, depuis son élection, selon le calcul du juriste Guillaume Rousseau, elle a été utilisée ou renouvelée à cinq reprises contre la Charte canadienne, sans parler des douze autres clauses dérogatoir­es contre la Charte québécoise toujours en vigueur que le gouverneme­nt Couillard n’a pas jugé bon d’abroger.

L’heure est grave pourtant: plusieurs auteurs de crimes contre la personne risquent de s’en tirer. Nommer de nouveaux juges ne réglera rien à court terme.

La cour a beau être divisée quant à la solution au problème des délais. Elle a eu beau n’avoir donné aucun délai avant de l’appliquer [elle a pourtant l’habitude de le faire. Pensons à l’aide médicale à mourir].

Tout cela ne semble pas émouvoir le premier ministre.

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Nommer de nouveaux juges ne réglera rien à court terme
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