Le Journal de Montreal

L’année charnière (1967)

- Gilles Proulx gilles.proulx @quebecorme­dia.com Avec la collaborat­ion de Louis-Philippe Messier PHOTOS COURTOISIE DES ARCHIVES MUNICIPALE­S DE MONTRÉAL

Pour Paris, c’est 1968, en mai pour être plus précis. Pour les États-Unis, c’est 1969, avec Neil Armstrong et les premiers pas de l’homme sur la Lune. Pour le Québec, c’est 1967. Cette année est en elle-même un moment marquant.

L’Expo 67 a métamorpho­sé l’idée que le Québec se faisait de lui-même. C’est vraiment à ce moment-là que le Canada français a cédé la place au «Québec» dans l’esprit des Québécois.

Normalemen­t, les exposition­s universell­es permettent à des millions de voyageurs de visiter une grande ville du monde; elles sont à l’origine du tourisme de masse. Avec l’Expo67, du moins de notre point de vue, ce fut le contraire: c’est nous qui avons découvert le monde. Il était enfin là! Sur l’île Sainte-Hélène, dans des pavillons, le reste du monde était tout à coup à notre portée. Chacun, pour une somme modique, pouvait y aller. Imaginez le choc! Toute la planète, ses principale­s personnali­tés, ses vedettes, ses artistes, ses princes venaient alors à Montréal.

Notre ville sortira de cette expérience avec la certitude de l’importance qu’elle avait dans le monde, certitude qui lui faisait défaut auparavant.

PAROLES INOUBLIABL­ES

L’invité d’honneur par excellence fut le général de Gaulle, le chef de la résistance française contre l’Allemagne nazie, qui était maintenant le président de son pays libéré. De Gaulle est arrivé en bateau et a emprunté le chemin du Roy de Québec jusqu’à Montréal. Homme intelligen­t et cultivé, il savait que ses compatriot­es d’outre-Atlantique étaient sous le pernicieux joug anglais. Il avait conscience que le premier ministre Daniel Johnson n’était qu’un laquais, un «politicien de province». Puisque tous les regards étaient braqués sur la ville de l’exposition universell­e, il en a profité pour y prononcer un petit discours…

Précaution révélatric­e, le maire Jean Drapeau avait veillé à faire débrancher tous les micros afin d’empêcher le général de prendre la parole en public… Ce dernier a demandé à des technicien­s d’en rebrancher un sur le balcon… Jean Drapeau n’allait quand même pas intervenir en s’écriant: «Non! Il ne parlera pas!» Il est resté mortifié sur le balcon pendant que le général lançait son fameux «Vive le Québec libre!»…

J’étais là, comme reporter pour la radio de CKLM. Charles de Gaulle, en visionnair­e qu’il était, comprenait la situation du Québec, l’imbroglio canadien. D’ailleurs, de l’hôtel de ville d’où il parlait, il avait sous les yeux la statue de l’amiral Nelson, érigée pour souligner la victoire des Anglais contre Napoléon. Bref, de Gaulle a fait connaître au monde entier la cause de la petite France américaine qu’était le Québec. Plus jamais le balcon de l’hôtel de ville ne sera le théâtre d’un discours digne de mention. Voilà qui en dit long sur la médiocrité de nos chefs…

Sans doute est-ce par petitesse et jalousie, par peur de trahir une infériorit­é trop évidente par rapport à un grand homme, que les responsabl­es de l’hôtel de ville n’ont jamais voulu baptiser le lieu «Balcon du Général».

 ??  ?? 1. Voici le général de Gaulle (le géant en habit militaire dans la voiture) sur le point d’arriver à l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967. Ce politicien d’une rare lucidité, d’une culture immense, et doté d’un sens aigu de l’Histoire et d’une faconde de grand homme digne des rois, va bientôt prononcer des paroles inoubliabl­es qui marqueront son époque: «Vive le Québec libre!» 2. L’Expo 67 était un de ces événements dont les participan­ts savaient qu’il serait historique. Le Québec ne serait plus jamais le même. Par ailleurs, le cinéaste Denys Arcand, dans son film Les invasions barbares, donne l’année 1966 comme celle où les églises se sont vidées. Le Québec moderne, ouvert sur le monde et très heureux d’ouvrir ses fenêtres pour respirer un air frais (moins lourd et chargé d’encens), voyait alors le jour. La Révolution tranquille battait son plein. Neuf ans plus tard, René Lévesque (qui, en 1967, avait assisté comme journalist­e au discours de De Gaulle) deviendra le premier ministre. 1 2
1. Voici le général de Gaulle (le géant en habit militaire dans la voiture) sur le point d’arriver à l’hôtel de ville de Montréal, le 24 juillet 1967. Ce politicien d’une rare lucidité, d’une culture immense, et doté d’un sens aigu de l’Histoire et d’une faconde de grand homme digne des rois, va bientôt prononcer des paroles inoubliabl­es qui marqueront son époque: «Vive le Québec libre!» 2. L’Expo 67 était un de ces événements dont les participan­ts savaient qu’il serait historique. Le Québec ne serait plus jamais le même. Par ailleurs, le cinéaste Denys Arcand, dans son film Les invasions barbares, donne l’année 1966 comme celle où les églises se sont vidées. Le Québec moderne, ouvert sur le monde et très heureux d’ouvrir ses fenêtres pour respirer un air frais (moins lourd et chargé d’encens), voyait alors le jour. La Révolution tranquille battait son plein. Neuf ans plus tard, René Lévesque (qui, en 1967, avait assisté comme journalist­e au discours de De Gaulle) deviendra le premier ministre. 1 2
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