Dans la lentille d’une photographe de guerre
La Montréalaise a remporté deux prix Pulitzer et un Emmy pour ses reportages
Irak, Afghanistan, Israël, Gaza, Chine, Congo, Bosnie. La Montréalaise Barbara Davidson a capté en images certaines des plus grandes atrocités de notre monde. Derrière sa lentille se cache une femme qui n’a pas froid aux yeux.
Barbara Davidson a quitté Montréal après l’université et elle n’a plus jamais regardé derrière elle. «Montréal est toujours dans mon coeur», précise-t-elle depuis son domicile de Los Angeles.
Méconnue ici, cette photojournaliste est une sommité mondiale de la photographie de guerre.
En plus de 25 ans de carrière, elle a récolté les plus hautes distinctions de son métier: deux prix Pulitzer, un Emmy et deux titres de photographe de l’année au concours international Pictures of the Year International.
Armée de son appareil photo, celle qui travaillait jusqu’à récemment au Los Angeles Times a visité plus de 50 pays pour mettre en lumière les pires fléaux de notre société.
«J’ai vu des choses terribles lors du tremblement de terre en Chine, souligne-t-elle. J’ai vu des choses qu’un être humain ne devrait jamais voir au Congo. J’ai assisté à des scènes d’une violence inimaginable en Israël. J’ai constaté toute la brutalité qu’il y a en Afghanistan. J’ai vu des enfants souffrir de la famine au Kenya. J’ai vu un homme transporter une tête décapitée. J’ai tout vu.»
Si elle n’aime pas attirer les projecteurs, elle a bien voulu se confier sans retenue… ou presque: «Je ne divulgue jamais mon âge, car c’est un tabou dans mon domaine.»
GRAND-PÈRE
D’origine irlandaise, les parents de Barbara Davidson ont immigré au Canada à la fin des années 1950 afin d’offrir une meilleure vie à leurs enfants.
En compagnie de ses six frères et soeurs, Barbara Davidson a été élevée et éduquée dans un milieu anglophone, dans Côte-Saint-Luc.
«J’ai appris à parler français quand j’ai déménagé au centre-ville pour travailler au magasin Simpsons, dit-elle. Je connais encore quelques mots, mais ça fait près de 20ans que j’habite aux États-Unis. Disons que je n’ai plus beaucoup d’interactions en français.»
D’aussi loin qu’elle se souvienne, Barbara Davidson a toujours eu un appareil photo dans ses mains. «Mon grand-père était le premier photographe dans la famille, souligne-t-elle. Il adorait prendre des photos et il avait sa propre chambre noire.»
Pour une famille d’immigrants, une photo est en quelque sorte le seul moyen de renouer avec son passé, estime-t-elle.
«Des photos de famille, c’était comme de l’or pour nous. C’était le seul moyen d’en apprendre davantage sur mes racines et sur la culture à laquelle j’appartiens.»
Barbara Davidson a décidé d’assouvir sa passion en faisant des études en photographie et en études cinématographiques à l’Université Concordia.
«Il n’y avait pas de cours en photojournalisme à l’époque, rappelle-t-elle. J’ai appris tous les rudiments de mon métier au McGill Daily et au journal étudiant de l’Université Concordia, The Link.»
«Barbara est unique et incroyablement talentueuse, se souvient Max Wallace, un collègue de l’époque au journal The Link. Elle a toujours été déterminée à devenir photojournaliste pour dévoiler des injustices. C’est dans sa nature.»
Mais une fois le diplôme en poche,
« J’ai vu des choses qu’un être humain ne devrait Jamais voir au congo. J’ai assisté à des scènes d’une violence inimaginable en israël. J’ai constaté toute la brutalité qu’il y a en afghanistan. J’ai vu des enfants souffrir de la famine au Kenya. » – Barbara Davidson
Barbara Davidson s’est butée à la dure réalité du marché du travail.
«Ç’a été difficile, mentionne-t-elle. Encore aujourd’hui, j’ai une boîte remplie de lettres de refus.»
Quelques déceptions plus tard, elle se déniche finalement un emploi dans un petit journal local du sud de l’Ontario, le Waterloo Region Record.
CAPTURÉE EN BOSNIE
L’appel du risque est fort pour Barbara Davidson. En 1995, elle décide de suivre les activités de la Croix-Rouge pendant la crise en Ukraine et la guerre en Bosnie.
Mais son premier mandat ne se déroule pas comme prévu. Alors qu’elle et son chauffeur traversaient une zone de guerre en voiture, ils ont été capturés par un groupe paramilitaire serbe.
Elle a été libérée 48heures plus tard, mais son chauffeur a été retenu prisonnier pendant deux semaines de plus parce qu’il était un homme.
«On se trouve chanceux, car à l’époque ils ne coupaient pas les têtes; aujourd’hui oui», soupire-t-elle.
Cette frousse lui fait prendre conscience du degré de dangerosité de son métier.
«Je n’ai pas été battue physiquement, mais psychologiquement, avoue-t-elle. Ce fut une expérience terrifiante. Je ne savais pas si j’allais vivre ou mourir. Quand tu vis un niveau de peur comme celui que j’ai vécu, ça change ta façon de travailler comme photojournaliste. Tu ne perçois plus la vie et le monde de la même façon.
«Ça s’est produit il y a plus de 20 ans et j’ai encore de la difficulté à vivre avec ça aujourd’hui...
«Après ce qui s’était produit en Bosnie, je ne voulais plus être photographe de guerre, se remémore-t-elle. J’avais eu beaucoup de mal à passer au travers de cette épreuve.»
Mais quelques années après la Bosnie, son patron l’affecte à la réalisation d’un reportage en République du Congo.
«Il m’a dit: “Prends l’avion, rends-toi sur les lieux et, si tu te sens nerveuse, je te promets que tu rembarques dans l’avion sur-le-champ et que tu reviens à la maison sans aucune conséquence.”»
Elle a à peine eu le temps de réfléchir qu’elle était déjà assise dans un avion en partance pour l’Afrique.
«La journaliste avec qui je travaillais m’a dit qu’il fallait aller à Goma, une ville contrôlée par un groupe rebelle. Je lui ai dit que je ne voulais pas y aller, que c’était hors de question.»
«Il n’y a aucun problème, mais je vais prendre la photo moi-même», lui répond alors sa collègue.
Piquée au vif, elle prend son courage – et son appareil – à deux mains.
«Je l’ai regardée, j’ai soupiré, et je l’ai suivie. Ça m’a permis de tirer un trait sur ce qui s’était passé en Bosnie et de revenir dans la partie. J’étais devenue très nerveuse.»
D’UN TERRAIN À UN AUTRE
Barbara Davidson a ensuite transporté ses pénates au pays de l’Oncle Sam.
Elle a troqué les pantalons de camouflage et les climats de guerre pour les habits chics et le «calme» des conférences de presse. Elle s’est retrouvée sur le beat de la Maison-Blanche pour le Washington Times.
Dès ses premières semaines, le scandale Monica Lewinsky a éclaté au grand jour.
«J’étais dans la pièce lorsque Bill Clinton a dit: “Je n’ai pas eu de relations sexuelles avec cette femme.”»
«Elle a un flair incroyable pour trouver le sens à une photo ou une histoire, illustre Jeremiah Bogert, son ex-collègue au LosAngeles Times. Elle a beaucoup d’empathie et ça lui permet d’aborder des angles auxquels personne ne pense.»
L’année 2006 a été éprouvante pour Barbara Davidson. «Cette année-là, j’ai remporté mon premier Pulitzer et mon premier titre de Photographe de l’année, dit-elle. Mais j’ai également perdu ma mère. Elle est décédée dans mes bras.»
En guise de remerciement, elle a offert ses trophées à sa mère le jour de son anniversaire. Celle-ci sera conduite à son dernier repos trois mois plus tard.
LOURDES PERTES
Aujourd’hui, Barbara Davidson choisit ses destinations de reportage.
«Je n’irais plus dans des pays comme la Syrie, avoue-t-elle. C’est trop dangereux.»
Les pertes de collègues photojournalistes comme Chris Hondros, Tim Hetherington et Anja Niedringhaus l’ont convaincue qu’elle n’était pas invincible.
«Ça te frappe, quand un ami se fait tuer. Tu penses beaucoup plus aux membres de ta famille et à l’impact que ton décès pourrait avoir sur eux.»
Lorsqu’elle travaille, elle se fait une mission de rester forte devant l’atrocité qui se déroule sous ses yeux.
«Dans mon domaine, il faut rester optimiste. On doit garder en tête que les histoires que nous racontons valent la peine d’être racontées», conclut-elle.