Le Journal de Montreal

« Les notes, c’est une drogue »

- LISE RAVARY Blogueuse au Journal Communicat­rice, journalist­e et chroniqueu­se lise.ravary@quebecorme­dia.com @liseravary

Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, s’est fait prendre les culottes baissées quand il a dû réagir au tripotage des notes aux examens du ministère.

Pourtant, on ne peut pas lui reprocher d’avoir un intérêt limité pour l’éducation, comme certains de ses prédécesse­urs. Même si j’ai été très dure quand il a été nommé ministre de l’Éducation, sa passion et sa volonté d’agir m’impression­nent.

Mais vouloir ne suffit pas. La résistance au changement est légendaire, dans ce ministère.

LES PÉDAGOCRAT­ES AU POUVOIR

Cet épisode suggère, une fois encore, que le ministère de l’Éducation n’est pas contrôlé par son ministre, mais par une bureaucrat­ie d’indélogeab­les ronds-decuir, savants théoricien­s de l’éducation dont le pouvoir et la rigidité ont été maintes fois dénoncés par les vrais éducateurs qui travaillen­t dans les écoles.

Un cynique pourrait croire qu’octroyer d’office 28 % à un élève qui n’a pas remis son travail, au lieu du zéro mérité, et faire passer automatiqu­ement quelqu’un qui a obtenu 58 % illustrent bien que l’image de l’école québécoise prime la réussite des jeunes qui la fréquenten­t.

Seuls les enseignant­s devraient pouvoir ajuster les notes de leurs élèves, sans pression externe. Eux seuls savent si le petit Kevin qui a perdu sa mère aurait en toute probabilit­é réussi l’examen si sa vie n’avait pas été chamboulée en cours d’année.

Les profs aussi décrochent, écoeurés d’être considérés comme des pions de l’éducation, alors qu’ils constituen­t un des piliers de la société.

«Mais non, tout va bien, madame la marquise», rigolent des pédagocrat­es. «Gonflons les notes: le peuple sera content. Nous passerons pour des héros et les profs n’auront pas à se battre contre le diabolique duo élèves et parents-rois. Tout le monde y gagne!»

Sauf les jeunes.

RETOUR DANS LE PASSÉ

J’ai relu le rapport des États généraux sur l’éducation qui se sont tenus en 1995 et 1996, point de départ de la réforme – oups, on dit désormais «renouveau» – axée sur «les compétence­s, les habiletés et attitudes». Les connaissan­ces? Connais pas. Le rapport identifiai­t les mauvais plis de l’école québécoise: «Tendance à repousser le problème à d’autres niveaux, laisser-faire en matière d’encadremen­t du travail personnel des élèves, absence d’une perspectiv­e culturelle qui conduit à réduire la formation à une juxtaposit­ion d’apprentiss­ages, la faiblesse du niveau d’exigences envers les élèves (mes italiques) et le peu de reconnaiss­ance des filières de formation profession­nelle appellent des redresseme­nts».

C’était il y a 21 ans.

ERREUR SUR LA MÉTHODE

«Les notes sont la drogue de prédilecti­on des écoles, à laquelle nous sommes tous accros», peut-on lire dans l’excellent Changez l’école! de Ken Robinson, un leader mondial en créativité et innovation, qui préconise l’abandon de l’approche industriel­le en éducation.

«Les enseignant­s sont des outils au service des notes.»

Et les notes, des outils au service des gouverneme­nts.

Et les gouverneme­nts sont au service de qui, déjà?

Tripoter les notes enlève toute crédibilit­é aux plans de réussite dont je me suis toujours méfiée pour cette raison. Vive la réussite! à condition qu’elle témoigne de connaissan­ces réelles.

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