Le Journal de Montreal

L’affaire Coffin réinventée

- Josée Boileau Collaborat­ion spéciale

L’affaire Coffin fut un formidable fait divers il y a 60 ans: avait-on pendu un innocent, faussement accusé du meurtre de chasseurs américains en Gaspésie? Les camps s’affrontaie­nt et le débat mènera, 20 ans plus tard, à l’abolition de la peine de mort au Canada. Maints ouvrages et documentai­res ont exploré depuis la question.

Daniel Poliquin, romancier d’expérience, a choisi de transposer les grandes lignes de cette histoire pour en faire une fiction sous un titre intrigant, Cherche

rouquine, coupe garçonne. Sous sa plume, l’affaire Coffin devient l’affaire Blewett, qui se nourrit à la fois des détails des meurtres réels des années 1950 et de la vie que l’auteur invente à ses personnage­s.

La rouquine du titre, c’est la narratrice. Elle est fascinée par l’affaire Blewett parce que son père, JeanJacque­s Bouffard, était alors au pied de l’échafaud en tant qu’aumônier suppléant de la prison de Bordeaux. Et il était si ébranlé par la pendaison à venir que c’est à lui que le condamné soufflera «Courage»! Le jeune prêtre de 30 ans en perdra la vocation. Il fera dès lors mille métiers pour finir réalisateu­r pour Radio-Canada en Gaspésie. Marié à une enfant gâtée qui le quittera pour partir à l’aventure, il élèvera seul sa rousse fillette, Évangéline.

TOUT SAVOIR

Cette Évangéline, curieuse, délurée et désinvolte, découvrira par hasard l’affaire Blewett, grâce à un film vu à la télévision. Son père, ce héros, ne lui en avait jamais parlé.

Dès lors, que ça plaise ou pas à Jean-Jacques, elle veut tout savoir, tous les voir. Odette, la maîtresse, devenue malgré elle célèbre alors qu’elle n’a jamais aimé Blewett d’amour vrai. Le chef de police surnommé Barabbas, qui connaît maintenant l’identité du véritable assassin, comme tout le monde du coin, précise-t-il. Le procureur de la Couronne qui a eu la peau de Blewett — ou plutôt son fils qui vantera l’homme rigoureux maintenant décédé… À chacun son passé, à chacun son destin, à chacun ses motivation­s.

Mais c’est l’histoire de son père qu’Évangéline quête aussi, et à travers lui, la sienne. Car comme les autres, Évangéline aime bien fabuler sa vie, s’inventant par exemple toute une romance à propos de sa mère qui l’a abandonnée. Ou s’emmêlant dans des amours pas plus simples avec des hommes qu’avec des femmes — épisodes toutefois plus faibles du roman.

Daniel Poliquin nous fait cheminer avec curiosité dans ce récit à multiples volets, qui va derrière les apparences. Ses personnage­s sont si bien campés qu’on a du mal à démêler la réalité de la fiction et les phrases font mouche. Quant aux observatio­ns d’Évangéline, qui a du recul sur l’affaire, elles ne manquent ni de justesse ni d’ironie.

«Somme toute, l’affaire avait été bien menée, si on peut dire. Une exécution propre et bien faite, comme le bourreau les aimait.» On en dira tout autant: ce roman est bien fait et mené rondement, comme le lecteur l’aimera.

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Cherche rouquine, coupe garçonne Daniel Poliquin Boréal 285 pages
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