Le Journal de Montreal

Arrêtez d’invoquer le passé !

- antoine.robitaille @quebecorme­dia.com antOine rObitaille Chef du Bureau d’enquête au parlement de Québec @Ant_Robitaille

Depuis une semaine, Philippe Couillard dénonce ceux qui veulent ramener «le gouverneme­nt d’aujourd’hui dans le passé». Il exige qu’on arrête de lui parler du passé.

Je sais de source sûre que le premier ministre admire le philosophe présocrati­que Héraclite. Il me l’a confié luimême.

Or, une des thèses d’Héraclite est que tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment. Doiton voir là l’inspiratio­n du premier ministre dans sa rhétorique récente anti-passé? Je me le demande.

Les moeurs de financemen­t politique de l’ère Charest, dont Philippe Couillard a été un ministre phare? «C’est le passé, M. le Président!» Tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment! Ne l’embêtez plus avec ça.

Le paradoxe est que M. Couillard et ses ministres (dont 15 ont été élus à l’ère Charest) sont extrêmemen­t friands du passé… lorsqu’ils critiquent leurs adversaire­s. Les exemples et les sujets abondent.

SANTÉ

Prenons la santé, dont M. Couillard a détenu le maroquin pendant cinq ans à l’ère Charest. Surtout, ne lui rappelez pas qu’il était entré en politique en 2003 pour régler la crise des urgences et diminuer le temps d’attente. C’est du passé, d’accord?

Pourtant, lorsqu’il répond au chef de la CAQ, François Legault, M. Couillard ne cesse de reprendre la tactique de Jean Charest et de rappeler l’époque d’il y a 20 ans! Le 2 novembre 2016, par exemple, il peste en ces termes: «Ça m’apparaît supérieur à la mise à la retraite forcée des médecins à laquelle il a participé à l’époque et certaineme­nt supérieur aux méthodes d’huissier qu’il a luimême expériment­ées lorsqu’il était ministre de la Santé!» Tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment, non?

JUSTICE ET BUDGET

Comme son chef, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, aime aussi à remonter très loin en arrière. En novembre 2016, lorsque le chef péquiste, Jean-François Lisée, la questionna­it au sujet des délais en justice, elle tint à lui rappeler que «le collègue chef de l’opposition était conseiller d’un gouverneme­nt qui avait réduit le nombre de juges, réduit le nombre de juges à la Cour du Québec, réduit le nombre de juges à la Cour supérieure par des amendement­s à la Loi sur les tribunaux judiciaire­s».

Tout passe, tout change, tout meurt à chaque moment, non?

Le passé budgétaire est aussi extrêmemen­t présent dans la rhétorique du gouverneme­nt. On aime bien rappeler que le gouverneme­nt Marois, en 2014, a déposé «un budget électorali­ste sans crédit».

RÉVOLUTION­NAIRE ?

En finir avec le passé est une vieille manie révolution­naire. En France, en 1789, après la prise de la Bastille, les jacobins martelaien­t que du passé il fallait faire «table rase». Heureuseme­nt, il n’y a rien de proprement révolution­naire dans la rhétorique de M. Couillard et de ses ministres. C’est plutôt une plate utilisatio­n sélective du passé, une pathologie humaine congénital­e dont les symptômes sont encore plus aigus dans les élites politiques. Le roman 1984, de George Orwell, l’a bien dépeint et caricaturé. Le personnage central, Winston Smith, a pour emploi abrutissan­t de retoucher les archives historique­s afin que le passé concorde avec le récit officiel du Parti. Le Parti libéral a 150 ans cette année. Il a eu de glorieuses époques, mais d’autres assez sombres (l’ère Taschereau). Son histoire de 1998 à aujourd’hui reste à écrire. Il serait regrettabl­e que les libéraux d’aujourd’hui en fassent un bilan sélectif.

 ??  ??
 ??  ?? M. Couillard refuse les rappels du «passé» libéral, mais se sert couramment du passé — même lointain — des autres pour répondre aux attaques.
M. Couillard refuse les rappels du «passé» libéral, mais se sert couramment du passé — même lointain — des autres pour répondre aux attaques.

Newspapers in French

Newspapers from Canada