La Couronne Libère eLLe-même 134 aCCusés
Pas moins de 134 accusés dont les causes traînaient devant la justice québécoise ont été libérés avant d’être jugés, depuis neuf mois, non pas à leur demande, mais plutôt à celle de la Couronne.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), bien qu’il soit chargé de porter les accusations et d’obtenir des condamnations, a fait libérer deux fois plus d’accusés que les avocats de la défense depuis l’arrêt Jordan de la Cour suprême sur les délais judiciaires déraisonnables, a appris Le Journal.
59 POUR LA DÉFENSE
Entre le 8 juillet 2016 et le 20 avril dernier, les tribunaux québécois ont donné gain de cause aux accusés dans 59 dossiers à la suite de requêtes de type Jordan présentées par la défense.
Durant la même période, la poursuite a elle-même requis des juges l’arrêt des procédures dans 134 dossiers hors délais, selon la patronne du DPCP, Me Annick Murphy.
Lorsque la Couronne formule pareille requête (baptisée nolle prosequi dans le jargon juridique), elle est accordée sur-lechamp par le juge, contrairement à celle d’un accusé.
GUEULE DE BOIS JURIDIQUE
Me Murphy a livré ces données à l’Assemblée nationale alors qu’elle était interrogée par la députée péquiste Véronique Hivon devant la commission parlementaire sur les crédits du ministère de la Justice.
Elle a précisé que la majorité des dossiers abandonnés concernaient des accusations de conduite avec les facultés affaiblies, soit une centaine.
Près d’une vingtaine de personnes inculpées de fraude ont pu s’en tirer de la même façon, dont des coaccusés de l’ex-maire de Laval, Gilles Vaillancourt, inculpés en 2013 à la suite d’une vaste enquête de l’UPAC.
La patronne du DPCP a affirmé qu’«on met énormément de choses en place pour s’assurer qu’on ne perde pas nos dossiers» depuis l’arrêt Jordan, qui demande «un effort immense» à ses procureurs.
«Il est certain que nous priorisons les dossiers [...] comme les crimes contre la personne qui sont pour nous les plus importants. [...] Mais nous ne sommes pas seuls dans le système de justice», a-t-elle ajouté en faisant référence à «la disponibilité» des avocats de défense, des juges et des salles de cour.
« VENTE DE FEU »
Selon Véronique Hivon, ces chiffres «alarmants» démontrent «l’ampleur de l’hécatombe qui nous pend au bout du nez depuis l’arrêt Jordan». «On constate que le DPCP en est rendu à sauver les meubles en retirant des accusations de sa propre initiative pour des gestes graves, a dit la députée de Joliette au Journal. Ça ressemble à une vente de feu pour le citoyen. C’est aussi décourageant pour les policiers et pour les victimes.»
La présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense, Me Mia Manocchio, s’est dite surprise.
«En même temps, ça démontre le début d’un changement de culture au DPCP. Le système actuel prend trop de temps à avancer, pour les accusés et pour les victimes. On s’en va dans le mur. Tout le monde doit travailler pour améliorer le système. Même si ça peut impliquer des choix déchirants.»