Des alcooliques brassent leur bière
Une initiative suisse pourrait être implantée au Québec pour responsabiliser les consommateurs
Un centre qui accueille des alcooliques en Suisse a eu l’idée inusitée de leur faire brasser de la bière pour rendre leur consommation plus sécuritaire. Une initiative qui pourrait être implantée au Québec, selon des intervenants.
Les bagarres étaient devenues tellement courantes à l’établissement Le Seuil, dans le canton de Fribourg, que ses responsables ont décidé de prendre les grands moyens pour en venir à bout.
«Les gars buvaient des quantités impressionnantes de bière forte, de plus de 11 %, et ce, à partir de 8 h le matin», explique le directeur de l’organisme, Cédric Fazan, qui était à Montréal hier dans le cadre du Sommet francophone sur la réduction des méfaits liés à la drogue.
RESPONSABILISER
Ils ont alors eu l’idée de faire brasser de la bière aux usagers pour les responsabiliser et leur offrir un produit qui serait moins fort en alcool.
«Notre but n’est pas de traiter ces gens-là, mais plutôt de s’assurer qu’ils consomment de façon sécuritaire, explique Cédric Fazan. Ils étaient tellement intoxiqués qu’on ne pouvait même plus communiquer avec eux, alors on s’est dit que si on pouvait s’arranger pour pouvoir au moins discuter avec eux c’était déjà un pas dans la bonne direction.»
En brassant leur propre bière, les usagers du centre ont alors commencé à alterner la consommation de bière forte et celle de «bière de plaisir», explique M.Fazan.
DE LA DISCIPLINE
Ceux qui participent au brassage doivent arriver à 8 h le matin, fraîchement lavés et correctement habillés pour des raisons d’hygiène, ce qui contribue à les responsabiliser, explique Cédric Fazan.
«Ce n’est plus du tout dans le jugement, c’est un fait [qu’ils doivent venir bien bien habillés et lavés], alors ça passe beaucoup mieux», dit-il.
Les participants sont également rémunérés 5 francs/h (environ 7 $ CA), ce qui leur permet de devenir plus autonomes. Ils sont accompagnés par un responsable du centre qui a suivi une formation pour brasser de la bière.
POSSIBLE AU QUÉBEC
Une telle approche pourrait facilement être implantée au Québec, croit le fondateur du groupe d’aide Méta d’âme, Guy-Pierre Lévesque, qui la compare davantage aux Centres d’injections supervisées.
«C’est juste que personne ne l’a fait, mais c’est quelque chose qui serait faisable, dit-il. Le concept, c’est d’avoir une dose qui permet de rester fonctionnel.»
«J’imagine qu’il y a une résonnance chez les Québécois et il y a peut-être des idées qui vont germer et qui vont se concrétiser», se réjouit la directrice de l’Association des intervenants en dépendance du Québec, Lise Massicotte.
Le directeur général d’ÉducAlcool, Hubert Sacy, croit que le projet a du bon, mais il s’interroge sur son impact s’il était implanté à grande échelle.
«Si ce n’est pas un projet-pilote très encadré, il y a un risque [de rechute] pour certains usagers», croit-il.