La voie ferrée Montréal-Lachine ( 1847 )
Montréal a pris son temps avant de se doter de voies ferrées. Il faut comprendre: tout ce que la ville expédiait ou recevait l’était par bateau. Pourquoi avoir des rails?
Aussi longtemps qu’aucun pont ne traversera le Saint-Laurent, aucune voie ferrée ne pourra relier l’île à la rive sud ou à la rive nord.
Il ne faut pas oublier qu’avant l’unification de Montréal par Pierre Bourque («Une île, une ville»), il y avait de nombreuses municipalités. Montréal n’était pas la seule ville sur l’île de ce nom. Il y avait d’autres entités municipales ayant leurs propres industries. Vous me voyez venir… Le train est apparu à Montréal pour relier… Montréal à Lachine. La voie Montréal-Lachine faisait quand même 13 kilomètres. Les Ti-Joe Connaissants vont me dire: «Le but n’était pas seulement de relier Lachine à Montréal, c’était, en fait, de contourner la partie tumultueuse du fleuve à la hauteur de la ville de LaSalle.» Effectivement, 11 ans avant Montréal, ce furent Saint-Jean-sur-Richelieu et La Prairie qui eurent droit à la première ligne de chemin de fer, et c’était déjà pour relier deux voies navigables. Le train était alors le valet du bateau. Or, au Canada, la «ville reine», la métropole économique si l’on peut dire, demeure Québec, la ville la plus ancienne, qui a ses chantiers navals. C’est par les rails que Montréal va d’abord se distinguer. Même le chemin de fer entre La Prairie et Saint-Jean vise à accélérer le commerce entre Montréal et Portland, dont le port est opérationnel à longueur d’année, contrairement au nôtre qui ne l’est pas durant l’hiver. En 1852, la compagnie ferroviaire du Grand Tronc relie directement Montréal à Portland.
MARGINALISATION LIÉE AU CHEMIN DE FER
À Pointe-Saint-Charles, quelque 2000 ouvriers travaillent à construire les locomotives et les wagons destinés à la ligne Montréal-Toronto. Chose prévisible: si le chemin de fer, après l’inauguration du pont Victoria, permet à Montréal de supplanter Québec, ce moyen de transport va rapidement venir jouer contre la métropole. Le Canada britannique n’a aucun avantage à concentrer son développement dans une ville aussi francophone. On exige que les Québécois financent la construction du chemin de fer vers l’ouest, mais ce dernier aboutit à la destruction des Métis francophones de l’Ouest, au profit d’une immigration qui s’intègre à l’Anglais. Bref, on fait payer aux Québécois un chemin de fer qui va servir à les marginaliser.
Le but: faire de Toronto, et plus généralement de l’Ontario, le centre économique du pays. Mieux encore, le coût faramineux de la construction et de l’entretien du réseau ferroviaire sera souvent défrayé par le gouvernement avec les deniers publics, mais ce seront de riches hommes d’affaires, proches du pouvoir, qui s’enrichiront. Une belle tradition canadienne! Bien sûr, les voies ferrées et les premières locomotives au charbon ultra polluantes et salissantes passeront dans les cours de milliers de pauvres gens qui en respireront la fumée. Dans Bonheur d’occasion, de la romancière Gabrielle Roy, la pauvreté misérable du quartier Saint-Henri est illustrée par le passage tapageur et salisseur du train. Voilà qui explique l’ambivalence des Québécois à l’égard du train, le moyen de transport par excellence d’une époque où le conquérant dominait l’économie.