Survivre, de toutes les manières
Il y a plusieurs manières de mener des guerres et d’y survivre, et Geneviève Lefebvre les fait se rencontrer de belle manière dans son cinquième roman Toutes les fois où je ne suis pas morte. Il en sort un récit dense, dur, qui soutient notre intérêt jusqu’au bout.
C’est pourtant un livre à la construction particulière, où différents personnages sont mis en vedette et où, parfois, le roman est écrit au «je», d’autres fois l’auteure redevient narratrice.
Catherine — le personnage central — est écrivaine de passion et rédactrice de profession. Elle n’a pas été épargnée dans sa vie personnelle: alcoolisme du père, abus du beau-père, mort d’un enfant, amour violent, conjoint qui trompe… Oui, ça fait beaucoup, ce serait même trop si Geneviève Lefebvre n’avait pas ce talent pour raconter. Et sa Catherine, dévastée, qui voudrait en mourir, survit chaque fois à ces guerres de l’intime.
Cette fois, elle s’emballe pour Matt, un ami devenu amoureux, grand reporter pour la BBC. Installé pour quelques jours à Bruxelles, il la presse de venir le rejoindre. De Montréal, elle saute dans un avion. Mais dans la foulée de l’attentat du Bataclan à Paris, Bruxelles — où les terroristes se seraient réfugiés — est sous contrôle policier. Les retrouvailles seront désastreuses: le grand journaliste de guerre a peur. Pas des drames de l’actualité, mais… de l’intimité. L’amoureux n’arrive pas à devenir amant. Autant fuir dans ce Bruxelles où la vie est suspendue en raison des menaces. Voilà un terrain qui lui est familier!
UN THÈME QUI SURPREND
Le non-désir de cet homme pour celle qu’il aime structure le récit, ce qui fait l’originalité de ce roman, tant ce thème est rarement exploré. D’ailleurs, deux chapitres entiers adoptent le point de vue de Matt, comme contrepoids au désarroi de Catherine — désarroi qui s’exprime notamment par des pages écrites en anglais seulement. La traduction n’est plus de mise au Québec? Par contre, on en aurait pris davantage.
Mais une autre guerre est en jeu: celle à laquelle se livrent les djihadistes, qui recrutent et manoeuvrent. Le jeune Malik, troisième personnage d’importance, est passé de la France à Bruxelles pour grossir les rangs de cette armée de l’ombre. Pour lui aussi, les sables sont mouvants entre la vie et la mort. Il croisera par hasard la route de Catherine et, dès lors, sans qu’ils le sachent, leurs destins se trouveront liés.
UNE LUEUR D’ESPOIR
Geneviève Lefebvre aborde sans détour la haine, les doutes, les lâchetés. En situant l’action de son roman dans un Bruxelles en état de siège, qu’elle décrit avec conviction, elle ajoute à l’incertitude qui habite ces personnages.
C’est pourtant dans ce Bruxelles que chacun arrivera à se raccrocher à la vie. Elle arrive à faire en sorte que ce roman, très fort et très noir, se termine par une porte ouverte sur la lumière et l’espoir.