Falardeau éternel
Huit ans déjà qu’il nous a quittés et pourtant, il ne se passe pas une journée sans qu’on se demande comment aurait réagi Pierre Falardeau devant une situation «X». Quelle aurait été son opinion sur un sujet d’actualité «Y»? Car il était cela, un phare, un leader d’opinion. Même s’il s’en défendait...
J’aimais bien lorsqu’il parlait d’une nécessité d’avoir un leader, alors qu’il pourfendait ceux qui trouvaient que la notion de chef était fasciste.
«Mais ce n’est pas fasciste du tout! Regardez dans tous les pays du monde, il y a des libérateurs, que ce soit Fidel Castro, Hô Chi Minh, Mao Tsé Toung, Churchill ou Charles de Gaulle. Parce que souvent, les gens attendent quelqu’un pour se libérer, un homme d’État qui va se lever et va les diriger vers la victoire. Et ce n’est pas fasciste, c’est humain!», disait-il.
DES CHEFS MÉMORABLES
De vrais chefs, le Québec n’en a pas produit des masses, mais il y en a un qui se distingue au début des années soixante, et c’est Pierre Bourgault, qui influencera toute une génération de jeunes idéalistes désireux de participer au mouvement d’émancipation du Québec.
Falardeau sera aussi du nombre, vendant un peu partout le journal
L’Indépendance, participant aux manifestations de rue, peignant des graffitis sur les murs, détruisant les symboles de l’oppression fédérale, organisant des assemblées de cuisine, ramassant de l’argent pour financer la campagne électorale et participant aux discussions.
À travers son militantisme et ses lectures — Fanon, Che Guevara, les penseurs des Black Panthers, Parti pris, La Cognée, L’Indépendance, etc. — Falardeau apprend ce qu’est le colonialisme et la dépossession.
Il découvre que d’autres pays sont aussi aux prises avec les mêmes problèmes que les nôtres (qu’en diraient aujourd’hui les partisans de cette gauche multiculturelle dévoyée?) et que tout se tient dans ce système d’injustice programmée. D’où la nécessité de la lutte de libération nationale, qui doit regrouper toutes les forces vives de la nation, celles de la rue et aussi des bourgeois comme Jacques Parizeau, «un monsieur propre en habit troispièces» qui a osé un geste combattif et révolutionnaire en serrant «les gosses aux syndicats financiers qui étranglaient le Québec depuis des années», décrivait Falardeau.
FALARDEAU ET L’INDÉPENDANCE
«Pour faire l’indépendance, il faut avoir l’unité la plus vaste possible entre la gauche, la droite, la bourgeoisie, le monde ouvrier, etc. Pour moi, le socialisme passe loin en arrière.»
Et il cite à l’appui la stratégie de Mao qui n’a pas hésité à s’allier à son opposant Tchang Kaï-Tchek pour bouter l’ennemi japonais dehors.
«Je suis d’accord pour instaurer le socialisme, mais la question qui m’intéresse d’abord, c’est… où?» ditil aux militants de l’UFP, l’ancêtre de QS.
«JE ME SOUVIENS»
La réédition de ces entretiens coïncide avec la commémoration des 150 ans de la Confédération canadienne. Ces entretiens ont eu lieu au printemps 2004, mais la situation ne s’est guère améliorée depuis.
Cette réédition est aussi agrémentée d’une préface stimulante de Manon Leriche, la compagne de Pierre: «Il a été mon professeur de sciences politiques dans la vie de tous les jours».
Qui de mieux que Falardeau pour dénoncer notre aliénation et notre asservissement? Nous avons besoin de nous faire rappeler certaines choses, à l’occasion, car notre «je me souviens» manque souvent à l’appel.
Le cinéaste et polémiste ratisse large, dénonçant au passage les artistes qui acceptent les flatteries du gouvernement fédéral et participent à ses célébrations, ou les intellectuels qui ont peur de se mouiller et demeurent «assis sur leur cul».
Tout comme le flou et les mollesses qui caractérisent le Parti québécois, «le PQ a rarement mobilisé ses militants… sauf pour les campagnes de financement.»