Le Journal de Montreal

Des mafieux profitent de la chasse aux terroriste­s

- ERIC THIBAULT Les enquêtes de sécurité nationale ont supplanté celles du crime organisé au premier rang des priorités de la GRC depuis les attentats mortels de 2014 à Ottawa et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

Afin de protéger des techniques d’enquête lui permettant de coincer des suspects de terrorisme, la GRC pourrait être contrainte de sacrifier une opération d’envergure menée aux dépens de la mafia montréalai­se.

Voilà le choix déchirant auquel la police fédérale et la Couronne semblent devoir faire face dans le projet Clemenza, dont 38 des 58 accusés ont déjà été libérés sans même avoir été jugés.

Onze autres présumés trafiquant­s arrêtés dans la même opération, l’an dernier, pourraient aussi s’en tirer indemnes au cours de l’été.

TEXTOS ESPIONNÉS

Selon nos informatio­ns, la police a coincé ces mafieux allégués avec une technique d’enquête alors inédite, mais qu’elle utilise aussi pour traquer des terroriste­s et qu’elle tient à garder secrète.

Or, pour préparer leur défense, les accusés du projet Clemenza pressent la poursuite de leur révéler en détail par quels moyens technologi­ques la GRC a intercepté les messages textes cryptés qu’ils se sont échangés sur leurs téléphones intelligen­ts de 2010 à 2012.

Hier, au palais de justice de Montréal, la Couronne a réitéré qu’elle n’était «pas encore en mesure de répondre à la demande» des 11 derniers accusés.

«C’est très compliqué», a simplement dit Me Nancy Perreault au juge Yves Paradis, qui lui demandait si la Couronne entendait un jour divulguer ces éléments de preuve.

NUIRE AUX ENQUÊTES

Le juge a consenti à reporter la cause en juillet, à la demande de la Couronne.

En mars dernier, la poursuite avait ellemême réclamé et obtenu l’arrêt des procédures contre une trentaine d’accusés qui lui adressaien­t la même demande dans ce dossier.

«On répète nos demandes depuis le 24août 2016. Cette question est au coeur du litige et on n’a pas de réponse. Les délais sont déjà importants. Nous allons agir en conséquenc­e», a plaidé le criminalis­te Dominique Shoofey, hier.

La défense a un atout de taille dans son jeu: en 2015, la Cour supérieure a créé un précédent en ordonnant à la Couronne de révéler à la défense comment la GRC a espionné les textos des sept coaccusés du caïd mafieux Raynald Desjardins, tous accusés du meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna, en 2011.

Des enquêteurs de la GRC avaient affirmé que la divulgatio­n de ces «renseignem­ents sensibles» aiderait les criminels à «s’adapter» et risquerait de nuire aux enquêtes futures.

Le juge Michael Stober a cependant estimé que les accusés devaient obtenir cette «preuve cruciale» en vue d’un procès juste et équitable.

Plutôt que d’obtempérer, la poursuite a préféré négocier avec les accusés, qui ont ensuite plaidé coupables à des accusation­s réduites de complot.

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Le mafioso Marco Pizzi, qui a échappé à une tentative de meurtre à l’été 2016, fait partie des 11 derniers accusés de cette rafle.

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