Des mafieux profitent de la chasse aux terroristes
Afin de protéger des techniques d’enquête lui permettant de coincer des suspects de terrorisme, la GRC pourrait être contrainte de sacrifier une opération d’envergure menée aux dépens de la mafia montréalaise.
Voilà le choix déchirant auquel la police fédérale et la Couronne semblent devoir faire face dans le projet Clemenza, dont 38 des 58 accusés ont déjà été libérés sans même avoir été jugés.
Onze autres présumés trafiquants arrêtés dans la même opération, l’an dernier, pourraient aussi s’en tirer indemnes au cours de l’été.
TEXTOS ESPIONNÉS
Selon nos informations, la police a coincé ces mafieux allégués avec une technique d’enquête alors inédite, mais qu’elle utilise aussi pour traquer des terroristes et qu’elle tient à garder secrète.
Or, pour préparer leur défense, les accusés du projet Clemenza pressent la poursuite de leur révéler en détail par quels moyens technologiques la GRC a intercepté les messages textes cryptés qu’ils se sont échangés sur leurs téléphones intelligents de 2010 à 2012.
Hier, au palais de justice de Montréal, la Couronne a réitéré qu’elle n’était «pas encore en mesure de répondre à la demande» des 11 derniers accusés.
«C’est très compliqué», a simplement dit Me Nancy Perreault au juge Yves Paradis, qui lui demandait si la Couronne entendait un jour divulguer ces éléments de preuve.
NUIRE AUX ENQUÊTES
Le juge a consenti à reporter la cause en juillet, à la demande de la Couronne.
En mars dernier, la poursuite avait ellemême réclamé et obtenu l’arrêt des procédures contre une trentaine d’accusés qui lui adressaient la même demande dans ce dossier.
«On répète nos demandes depuis le 24août 2016. Cette question est au coeur du litige et on n’a pas de réponse. Les délais sont déjà importants. Nous allons agir en conséquence», a plaidé le criminaliste Dominique Shoofey, hier.
La défense a un atout de taille dans son jeu: en 2015, la Cour supérieure a créé un précédent en ordonnant à la Couronne de révéler à la défense comment la GRC a espionné les textos des sept coaccusés du caïd mafieux Raynald Desjardins, tous accusés du meurtre de l’aspirant parrain Salvatore Montagna, en 2011.
Des enquêteurs de la GRC avaient affirmé que la divulgation de ces «renseignements sensibles» aiderait les criminels à «s’adapter» et risquerait de nuire aux enquêtes futures.
Le juge Michael Stober a cependant estimé que les accusés devaient obtenir cette «preuve cruciale» en vue d’un procès juste et équitable.
Plutôt que d’obtempérer, la poursuite a préféré négocier avec les accusés, qui ont ensuite plaidé coupables à des accusations réduites de complot.