Le Journal de Montreal

Manchester, la peur et la haine

- SOPHIE DUROCHER sophie.durocher @quebecorme­dia.com

La plus jeune victime avait huit ans. Je n’arrive pas à m’enlever cette phrase de la tête. Huit ans. Une petite puce, de l’âge de mon fils, qui ne voulait rien d’autre qu’assister à un spectacle de son idole, Ariana Grande. Après le Bataclan, une autre salle de spectacle est la cible d’un attentat terroriste islamiste. Alors on fait quoi? Certains disent qu’on doit empêcher les sacs à dos à l’entrée des salles de spectacle. D’autres, qu’il faut multiplier les détecteurs de métal et les gardiens à l’entrée des arénas.

Mais comment fera-t-on pour rendre tous les rassemblem­ents sécuritair­es? Pensez-vous vraiment qu’on atteindra le risque zéro?

LA MUSIQUE DE LA HONTE

Dans son communiqué revendiqua­nt l’attentat de Manchester, le groupe armé de l’État islamique parle d’un dispositif qui a explosé dans un aréna «honteux». En effet, pour les fous d’Allah, une jeune chanteuse de 23 ans comme Ariana Grande, qui assume sa sensualité et qui chante librement, cheveux au vent, en portant des talons hauts, c’est honteux. Et ceux qui assistent à de tels spectacles sont des mécréants, des ennemis à abattre.

Est-ce que ça signifie que, lors de chaque spectacle qui aura lieu au cours des prochains mois où on célébrera la jeunesse, la liberté, la sensualité, on va avoir peur qu’un kamikaze se fasse sauter ou qu’un camion fonce dans la foule? On nous dit qu’il faut continuer à vivre notre vie, qu’il ne faut pas changer nos habitudes, qu’il ne faut pas que les terroriste­s prennent le dessus.

En fin de semaine, à Montréal, des milliers de gens se sont rassemblés pour voir passer les géants dans le cadre des fêtes du 375e de la ville. Des marionnett­es immenses représenta­nt une petite fille, un scaphandri­er et un chien. Quand j’ai vu les photos des milliers de Montréalai­s entassés dans le métro pour se rendre voir les Géants, j’ai tout de suite pensé à Manchester.

Dites-moi que vous n’y avez pas pensé, vous aussi. Jurezmoi que ça ne vous a pas traversé l’esprit qu’il aurait suffi d’un seul illuminé pour que la fête se transforme en cauchemar.

Après les attentats de Boston (pendant le marathon) ou de Nice (pendant les fêtes du 14 juillet) ou de Berlin (pendant les marchés de Noël), on est tous un peu atteints d’agoraphobi­e, cette peur des lieux publics et de la foule.

Pensez-vous sérieuseme­nt qu’au Festival d’été de Québec, au Piknic Electronik ou au Festival de Jazz cet été, on ne va pas avoir cette peur au ventre? Qu’on ne va pas paniquer au moindre colis suspect oublié par un spectateur? Qu’on ne va pas s’observer du coin de l’oeil en se demandant: «Est-ce que je peux faire confiance à mon voisin?».

LA VÉRITÉ EN FACE

On peut se faire croire qu’on va continuer à fréquenter les salles de spectacles et les arénas comme avant, on peut jouer à l’autruche, mais il faut être lucide.

Les terroriste­s n’ont pas seulement tué des victimes innocentes. Ils ont tué notre envie de nous rassembler, notre envie de célébrer en gang, notre joie de voir nos idoles chanter ou danser sur scène. Je n’ai pas honte de l’avouer: je suis terrorisée. Et vous?

Les terroriste­s ont tué notre envie de nous rassembler

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