Le Journal de Montreal

Jamais seul avec ma solitude

- Jacques Lanctôt Collaborat­ion spéciale

Il y a ça de bon dans les livres: ils nous donnent la mesure de ce que nous sommes, ils nous renvoient notre propre image, celle qu’on peine à voir et à laquelle on ne peut plus échapper.

Je suis célibatair­e depuis deux ans. C’est peu pour la majorité des gens, mais pour moi, c’est une éternité. La solitude, très peu pour moi. Même si j’ai mes enfants avec moi, une semaine sur deux, je me sens seul. Mes enfants ne comblent pas mon besoin d’amour, à l’exemple de plusieurs femmes, qui témoignent dans Nous sommes bien seules, un ouvrage regroupant quinze histoires adaptées de faits vécus.

Dans la majorité des cas, la solitude est lourde à porter et à supporter, parce qu’elle a pour point de départ quelque chose de non voulu: la perte de l’être aimé, son départ volontaire ou son décès. À l’ère des communicat­ions instantané­es où, à l’aide de notre téléphone intelligen­t, on peut même dépister l’âme soeur qui circulerai­t dans notre voisinage. Les sites de rencontres, avec photos, vidéos et boîtes vocales se multiplien­t, abolissant les frontières de la cruise, le problème n’est plus du «comment» mais du «combien de temps la relation peut-elle durer».

Souvent, la solitude s’explique tout simplement par un physique ingrat, l’âge avancé, la présence d’enfants, la peur de se mouiller et d’essuyer un échec. Il y a aussi la solitude volontaire. Et celle qui arrive après une rupture amoureuse ou la disparitio­n du conjoint. On n’y est pas préparé et on est subitement plongé dans un vertige qui fait peur. Il faut repartir à zéro. «Je n’avais jamais envisagé de me retrouver seule, sans l’exigence de prendre soin d’un homme», dit l’une dont le mari l’a quittée après 21 ans de mariage et deux enfants. Une autre, veuve à 38 ans, n’a jamais pu remplacer son mari décédé. «Ça fait 32 ans, et quand, dans mon lit, je fais glisser mes doigts entre mes jambes, et que je jouis d’un simple effleureme­nt, je pense encore à ton corps chaud contre le mien.»

Souvent, l’usure du couple est en cause. «Comment est-ce arrivé qu’on ne fasse plus l’amour?» se demande une femme toujours en couple. Si l’amour ne dure que trois ans, selon Beigbeder, dans ce cas-ci, il a duré une quinzaine d’années, pour se transforme­r en autre chose, maintenant le lien de confiance. L’absence de sexe n’étant pas l’absence d’amour.

L’une avoue à ses enfants qu’elle est aussi une femme, en plus d’être une mère qui mouche des nez, essuie des larmes et fait réciter des tables de multiplica­tion. Un jour, elle craque et on l’emmène chez les fous, où elle découvrira l’amour d’une autre femme. À 74 ans, elle avoue à ses enfants: «Votre mère, l’épouse de votre père, la grand-mère de vos enfants, s’est sentie naître à elle-même entre les jambes de cette femme.»

L’autre, veuve à 26 ans, ne s’est jamais remariée. Elle est demeurée dans ce veuvage, parce qu’elle n’a jamais accordé de l’importance au sexe. Trente ans plus tard, elle avoue qu’il lui arrive de s’ennuyer.

Que faire quand la mort vient nous prendre la personne avec qui nous partagions tout depuis des années et nous laisse sans défense? «Les jours sans toi, dit cette femme éplorée, sont un vide vertigineu­x, glacial, sauvage et sans pitié.» Il ne lui reste plus qu’à refuser le deuil. Ils demeureron­t unis malgré la mort.

Celle-ci s’accommode de la visite mensuelle de deux «bons amants». Pourtant, elle n’a eu qu’un seul grand amour, le père de ses enfants. Après le divorce, elle s’est consacrée à ses enfants, à son travail, à son engagement social. «Mais votre mère a un corps», leur dit-elle, il est parfois «envahi d’un besoin de jouir, d’être pénétré, baisé».

Bref, il y en a pour toutes les solitudes. Il reste à s’entendre sur le sens du mot «bien» dans le titre.

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Julie Bosman Éditions Leméac Nous sommes bien seules
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