UN HÔPITAL SE MOQUE DU GOUVERNEMENT
Il accorde des contrats de moins d’un million $ pour éviter l’accréditation imposée par le gouvernement
Le plus grand centre hospitalier du Québec a contourné les règles du gouvernement pour faire affaire avec une multinationale qui n’avait pas le droit d'obtenir des contrats publics de plus d’un million $.
Cela a permis à l’entreprise Iron Mountain d’être choisie pour numériser des millions de pages d’anciens dossiers médicaux au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Québec.
En mai 2016, elle avait été retenue au terme d’un appel d’offres pour un montant de 3,3 M$. Le problème, c’est que cette multinationale n’avait pas obtenu son autorisation de l’Autorité des marchés financiers (AMF), malgré une demande faite dans les semaines précédentes.
Depuis novembre 2015, toutes les entreprises qui veulent obtenir un contrat de service de plus d’un million de dollars avec un organisme public doivent montrer patte blanche et recevoir une accréditation de l’AMF. Cette mesure a été prise dans la foulée de la commission Charbonneau pour s’assurer de l’intégrité des entreprises qui soumissionnent avec l’État.
Plus d’un an plus tard, Iron Mountain attend toujours son accréditation de l'AMF.
DEUX CONTRATS JUSTE SOUS LA LIMITE
Qu’à cela ne tienne, le CHU de Québec a décidé d’annuler l’appel d’offres et de passer outre cette obligation en donnant à Iron Mountain plusieurs contrats, chacun sous la barre d’un million $, plutôt qu’un seul gros contrat qui aurait nécessité l’accréditation de l’AMF.
Un premier contrat de gré à gré de 925 000 $ a été octroyé en décembre 2016, puis un autre au montant de 860 000 $ le mois dernier, pour une somme totale de 1,8 M$. Le CHU a également profité du fait qu’elle avait un autre contrat avec Iron Mountain qui a débuté en 2012 pour faire une partie du travail entre mai et décembre 2016.
L’établissement ne cachait même pas le but de cette manoeuvre de fracturation du contrat dans une première justification écrite. Cette version officielle a été modifiée dès que notre Bureau d’enquête a posé des questions (voir encadré ci-contre).
PRESSÉS DE LIBÉRER DES LOCAUX
La porte-parole du CHU, Pascale St-Pierre, soutient que la décision de favoriser Iron Mountain a été prise parce qu’on devait libérer rapidement des locaux et que l’entreprise avait déjà travaillé pour eux au cours des dernières années.
«C’est un projet qui devait s’autofinancer avec le réaménagement du service des archives. On avait une entente pour la réaffectation du personnel et la libération des espaces», dit-elle. Selon elle, l’urgence provenait aussi du fait qu’on a décidé de résilier le contrat accordé à une autre entreprise en février 2016 (voir autre texte). L’hôpital a informé le Conseil du trésor, une fois que la direction générale a décidé de donner les contrats de gré à gré.
Le Conseil du trésor est le ministère qui doit s’assurer du respect de la réglementation dans les contrats publics. Sa porte-parole, Émilie Lord, nous a assuré que l’hôpital ne lui a jamais demandé l’autorisation pour donner les contrats à Iron Mountain.
Comme cette dernière est une entreprise aux ramifications internationales, les vérifications sont plus longues à faire, nous dit-on, car celles-ci doivent passer entre les mains de l’Unité permanente anticorruption (UPAC).
L’entreprise, de son côté, ne veut pas commenter les contrats de gré à gré, mais soutient que les délais pour son accréditation à l’AMF sont hors de son contrôle. «Nous ne pouvons commenter directement, mais il semble que les délais soient occasionnés par un important volume d’application et Iron Mountain n’est pas la seule entreprise dans cette situation», indique son porte-parole, Christian Potts.