Coup de propagande raté
Pyongyang voulait se servir de l’étudiant américain comme monnaie d’échange
SÉOUL | La Corée du Nord a un scénario bien huilé quand il s’agit d’arrêter des Américains et de s’en servir comme monnaie d’échange diplomatique. Mais avec Otto Warmbier, rapatrié cette semaine dans le coma, cette stratégie semble avoir déraillé.
D’après les analystes, le script est simple, toujours le même: arrêter un Américain, organiser un procès spectacle qui débouchera sur une lourde peine et le libérer en échange de visites de personnalités de premier plan – Jimmy Carter et Bill Clinton ont payé de leur personne par le passé. Ces voyages servent à la propagande intérieure.
«Avec Otto Warmbier, ils voulaient rejouer la même pièce», dit Andrei Lankov, professeur à l’Université Kookmin. Quand ça marche, «c’est un coup de propagande génial».
Otto Warmbier, étudiant de 22 ans de l’Université de Virginie, en voyage touristique en Corée du Nord, avait été arrêté en 2016 pour avoir tenté de voler une affiche de propagande puis condamné à 15 ans de travaux forcés. Mais quelque chose a mal tourné. «Quand on joue avec le feu constamment, un jour ça se passe mal. C’est plus ou moins ce qui s’est produit dans cette affaire», ajoute M. Lankov.
GRAVES LÉSIONS
Les médecins qui s’occupent de l’étudiant aux États-Unis, où il est arrivé cette semaine après avoir été libéré par Pyongyang pour raison «humanitaire», ont expliqué qu’il souffrait de graves lésions neurologiques vraisemblablement dues à un arrêt cardiorespiratoire.
Les praticiens américains n’ont pu établir ses causes, mais ont dit n’avoir décelé aucun signe de botulisme, l’explication avancée par le régime reclus comme la raison du coma du jeune homme.
Les spécialistes jugent improbable que Pyongyang ait délibérément fait plonger un ressortissant américain dans le coma. «Ça a dû être un accident et c’est probablement pourquoi ils le cachent depuis un an», a déclaré Go Myong-Hyun, chercheur à l’Institut Asan des études politiques.
La Corée du Nord, qui a un piètre bilan en matière de droits de l’homme, est isolée sur la scène internationale en raison de ses ambitions nucléaires.
Des réfugiés nord-coréens ont raconté qu’il était fréquent que les autorités renvoient chez eux les prisonniers très malades, explique Greg Scarlatoiu, directeur du Comité des droits de l’homme en Corée du Nord (CDHCN). «Comme ça, le camp de prisonniers politiques et l’administration pénitentiaire n’ont pas à gérer le problème.»
PANIQUE
Aux yeux du professeur Stephen Haggard, spécialiste de la Corée du Nord, il est vraisemblable que les Nord-Coréens aient paniqué en réalisant la gravité de l’état de santé de Warmbier.
Il est possible que «Warmbier ait sombré dans le coma juste après sa condamnation, mais que les services de renseignement l’aient caché ou ne l’aient pas fait remonter», dit-il, expliquant que selon les apparences, même le ministère nord-coréen des Affaires étrangères était dans le noir.
Des journalistes Laura Ling et Euna Lee au missionnaire Kenneth Bae, la plupart des Américains arrêtés récemment au Nord ont été libérés après des interventions en haut lieu. Trois Américains sont toujours détenus.
D’anciens détenus comme Kenneth Bae ont fait état de longues journées de labeur, de problèmes médicaux et d’abus psychologiques. Mais d’autres ont parlé de conditions de détention tolérables.